resolutionmini
 
Biographies de neurologues
 
Nouvelle Iconographie de La Salpêtrière
 
 L'histoire des neurosciences à La Pitié et à La Salpêtrière J Poirier
The history of neurosciences at La Pitié and La Salpêtrière J Poirier 
 
 
 

mise à jour du
30 juillet 2006 
claparede
Le bâillement
extrait de
Le sommeil et la veille
Édouard Claparède
24/03/1873, Genève - 29/09/1940, Genève
 
Félix Alcan
Nouveau Traité de Psychologie
tome quatrième, fascicule 4
page 461-464
1937

logo

Pourquoi bâille-t-on ? Ed Claparède 1924 
 
LE SOMMEIL
 
Le sommeil est un état d'inaction périodique, caractérisé par une perte plus ou moins complète de contact avec la réalité objective présente, qu survient plus ou moins brusquement, et qui, brusquement aussi, peut être, par une excitation, interrompu et remplacé par l'état de veille.
 
Le sommeil, cependant, ne saurait être défini que par des attributs négatifs. Nous verrons qu'il comporte certaines activités sui generis. Il se distingue donc de la veille non seulement quanitativement, mais aussi qualitativement.
 
 
I. LE BESOIN DE SOMMEIL
 
Conditions et mécanisme du besoin subjectif.
 
«Besoin» de sommeil peut s'entendre à deux points de vue différents objectif et subjectif.
 
Au point de vue objectif, on se demandera : quand le sommeil est-il, organiquement parlant, utile ou nécessaire à l'individu ? Cette question est celle de la valeur restauratrice et, en général, de la fonction du sommeil ; nous la retrouverons plus loin.
 
Nous ne parlerons ici du besoin de sommeil que dans son sens subjectif. Et notons tout de suite qu'il n'y a pas de coïncidence nécessaire entre ces deux aspects du «besoin». On peut, par exemple, éprouver vivement le besoin d'un morceau de sucre dans une tasse de thé, ou de sel dans un potage sans que l'organisme ait, chimiquement parlant, besoin de sucre ou de sel à ce moment-là. De même on peut éprouver le besoin de sommeil sans que celui-ci soit à ce moment-là un besoin réel pour l'organisme.
 
Le besoin subjectif de sommeil ne précède pas nécessairement l'acte de s'endormir. On peut tomber endormi sans en avoir préalablement ressenti le besoin. C'est le plus souvent le cas lorsque nous allons nous coucher à l'heure habituelle, ou lorsque nous nous endormons en chemin de fer. Cette absence de besoin s'explique par la loi de la prise de consscience nous ne prenons pas conscience des réactions que nous accomplissons d'une façon automatique. Il n'y a prise de conscience que si la réaction est empêchée, est gênée. Le besoin de sommeil ne surgit dans notre conscience que lorsque, pour une raison ou pour une autre, nous sommes pousés à prolonger l'état de veille quoique notre organisme incline au sommeil. Il est le résultat d'un conflit de tendances.
 
Il en est de même pour les autres besoins : nous ne ressentons pas toujours la faim avant de manger, ni le besoin d'uriner avant la miction. Lorsque ces actes sont régis par l'habitude et peuvent s'accomplir sans obstacle, ils se passent de l'avertissement du besoin.
 
Au reste, le mécanisme du besoin de sommeil peut être calqué, mujatis muartandis, sur celui des autres fonctions organo-psychologiques, par exemple la miction. Dès que surviennent les causes habituelles qui induisent le sommeil, si celui-ci doit être momentanément écarté, on voit apparaître des réactions antagonistes, et le besoin de sommeil consiste, subjectivement, dans les sensations qui témoignent de cette lutte. Ainsi, le besoin de sommeil se manifeste, en premier lieu, par la, lourdeur des paupières ; mais cette lourdeur, nous ne la sentons vraiment que lorsque nous nous opposons, si peu que ce soit, à l'occlusion des yeux. Bientôt surviennent des sensations de tiraillement dans les muscles oculaires (au moment de l'endormissement, les yeux se révulsent en haut et en dehors) et dans le muscle releveur de la paupière, de la diplopie, des sensations vagues dans la nuque et, en général, dans toute la musculature du corps. En outre, ainsi qu'on le constate aisément lorsque, dans une conférence, on lutte contre le sommeil, on doit faire effort pour ramener l'attention qui fuit, et pour rapprocher, en quelque sorte, la voix de l'orateur qui semble s'éloigner peu à peu et venir comme d'un autre monde.
 
Par une série de «rétablissements», nous parvenons, si nous sommes victorieux dans cette lutte, à écarter pour un certain temps le besoin de sommeil. Nous reprenons alors pleinement conscience de la situation présente, du milieu où nous nous trouvons.
 
Les symptômes du besoin de sommeil s'aggravent notablement si la veille est prolongée fort au delà des limites habituelles. La privation de sommeil pendant plusieurs jours apparaît comme la plus abominable des tortures. Elle peut engendrer du délire et des hallucinations. Au cours d'expériences d'insomnie expérimentale (cf plus loin), les sujets ont noté une irritabilité particulière, des migraines, des vertiges, des bourdonnements dans la tête, une perte du contrôle moteur. Ces manifestations varient d'ailleurs considérablement d'une personne à l'autre (ROBINSON).
 
II ne faut pas confondre la sensation du besoin de sommeil avec la sensation de fatigue, bien que ces deux états de conscience puissent être superposés et associés. On peut éprouver de la fatigue sans avoir besoin de dormir ; le cas est fréquent dans l'insomnie. On peut aussi éprouver le besoin de dormir, sans ressentir de la fatigue ainsi en chemin de fer ou dans une conférence, ou après le repas de midi, s'il fait chaud.
 
2. Le bâillement.
 
Le bâillement est généralement considéré comme un des signes du besoin de sommeil, et je pense que c'est à juste titre, mais à la condition que, conformément à la conception esquissée tout à l'heure, on envisage surtout le besoin de sommeil comme l'expression psycho-physiologique de la lutte contre le sommeil.
 
Le bâillement - c'est tout au moins l'hypothèse qui semble le mieux rendre compte des faits - nous apparaît comme un des épisodes de cette lutte.
 
Qu'est-ce que le bâillement ? Les physiologistes le définissent comme un acte respiratoire, déclenché d'une façon réflexe, et accompagné de la contraction de divers muscles de la face, acte qui aurait pour fonction d'augmenter l'oxygénation du sang. Mais la question qui intéresse le psychologue est celle de savoir ce que signifie le bâillement, et quels sont ses rapports avec le sommeil. Or l'observation nous apprend que nous ne bâillons pas lorsque nous pouvons nous abandonner au sommeil. Nous bâillons au contraire lorsque nous sommes empêchés de le faire. Aussi DUMPERT a-t-il supposé que le bâillement était une réaction de défense contre l'inattention qui guette l'esprit fatigué. Et la fonction de cette réaction serait de faciliter la circulation sanguine. Pour en comprendre le mécanisme, il faut, dit DUMPERT (d'accord en cela avec HAUPTMANN et MAYER) regarder le bâillement comme n'étant que la portion (isolée par l'éducation) d'un réflexe plus général : l'étirement. Souvent d'ailleurs le bâillement va avec l'étirement. Le fait est frappant chez les chiens et chez les chats. Et souvent aussi, le simple acte de s'étirer provoque le bâillement. Le réflexe d'étirement a pour fonction de faciliter la circulation sanguine dans le corps et spécialement dans le cerveau, soit en provoquant des contractions qui compriment les veines périphériques et poussent le sang vers le cour, soit en suscitant une inspiration intense qui exerce aussi une action d'appel sur la circulation veineuse .
 
Avant DUMPERT, STEKEL, en 1915, avait déjà considéré le bâillement comme une arme contre le sommeil. « Le bâillement sert, disait-il, à nous tenir éveillé ».
 
De fait, on bâille aussi le matin, plus souvent même que le soir ; le bâillement aide à rétablir la veille. La conscience du bâillement appartient aux symptômes subjectifs du besoin de sommeil; la preuve en est qu'en bâillant volontairement, même au début de la matinée, on éprouve du même coup la sensation du besoin de dormir.
 
claparede
Yawning cale / Estimation des bâillements