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Biographies de neurologues
 
Nouvelle Iconographie de La Salpêtrière
 
 L'histoire des neurosciences à La Pitié et à La Salpêtrière J Poirier
The history of neurosciences at La Pitié and La Salpêtrière J Poirier 
 
 
 
 
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mise à jour du
12 mai 2005
Société des neurosciences
Lettre 23
2002
Le récepteur D3 de la dopamine: une nouvelle cible thérapeutique
Pierre Sokoloff
Unité de Neurobiologie et Pharmacologie Moleculaire (INSERM U.573), Centre Paul Broca, 75014 Paris

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En 1952, l'introduction des neuroleptiques en clinique apportait aux patients schizophrènes une solution thérapeutique largement efficace, mais non exempte d'effets secondaires. Il était communément admis que la dopamine agissait en stimulant deux récepteurs, D1 et D2, et que les effets des neuroleptiques résultaient du seul blocage du récepteur D2. Cependant, certains neuroleptiques, considérés comme "atypiques" pour leurs effets secondaires moindres, avaient un profil particulier aussi bien in vitro que chez l'animal, ce qui nous avait suggéré l'existence d'une plus grande diversité des récepteurs de la dopamine. Cette idée n'avait pas, loin s'en faut, gagné l'adhésion de la communauté scientifique, jusqu'à ce que nous découvrions, avec M.-P. Martres et B. Giros dans l'Unité 109 de l'INSERM dirigée par J.-C. Schwartz, un troisième récepteur de la dopamine (RD3) [I]. Nos observations suggèrent que le RD3 constitue un site d'action important des neuroleptiques, par lequel ces médicaments exercent leurs effets thérapeutiques. Sa localisation est restreinte chez le rat aux régions limbiques du cerveau et il est absent des régions impliquées dans le contrôle du mouvement, riches en récepteur D2, dont le blocage apparaît ainsi responsable des effets secondaires des neuroleptiques. La découverte du RD3 a donc ouvert la perspective de développer des agents thérapeutiques nouveaux, agissant sur certaines fonctions spécifiques de la dopamine (contrôle de la motivation, de processus cognitifs et des émotions) sans en affecter les autres fonctions (contrôle de la motricité, sécrétions hormonales).
 
Le clonage du gène humain du RD3 a ouvert un champ d'investigation en psychiatrie génétique. De par ses propriétés, ce gène est candidat dans les affections psychiatriques pour lesquelles des facteurs héréditaires sont proposés, comme la schizophrénie. Une association génétique entre le gène du RD3 et la schizophrénie, bien que d'ampleur limitée, a été confirmée récemment [2] et suggère un rôle mineur de ce gène dans la susceptibilité à cette pathologie.
 
Nous avons aussi décrit le rôle du RD3 dans la sensibilisation comportementale, révélant ainsi un mécanisme cardinal dans l'adaptation du système nerveux central à l'administration répétée d'agonistes dopaminergiques indirects, qui pourrait rendre compte aussi bien du besoin croissant de drogue dans la toxicomanie que de l'hypersensibilité aux psychostimulants dans la schizophrénie ou encore des effets secondaires de la levodopa (dyskinésies) dans le traitement de la maladie de Parkinson [3]. Nous avons aussi démontré le rôle du RD3 dans la réactivité à un environnement spécifiquement associé à la prise de drogue, qui suggère l'utilisation d'agents sélectifs du RD3 comme traitement préventif de la rechute chez les abstinents, pour lesquels les images évocatrices de prise de drogue ("cues") sont incitatrices [4].
 
L'identification d'un agoniste sélectif et partiel du RD3, le BP 897, a été décisive : elle a résulté d'un travail de collaboration avec un groupe de pharmacochimistes de l'Université de Strasbourg (A. Mann et C.G. Wermuth) et un groupe de psychologie expérimentale de l'Université de Cambridge (B.J. Everitt). L'évaluation de l'intérêt thérapeutique du BP 897 dans le traitement de la schizophrénie, de la maladie de Parkinson et des pharmaco-dépendances est en cours, en collaboration avec le laboratoire français Bioprojet. Ces affections ont en commun, semble-t-il, de mettre en jeu le BDNF (Brain-derived Neurotrophic Factor), dont nous avons démontré le rôle spécifique dans le contrôle de l'expression génique du RD3 [5]. Le BP 897 nous permet aujourd'hui de développer le concept qu'une intervention thérapeutique pharmacologique serait plus efficace en utilisant des agents "stabilisateurs", capables de limiter les fluctuations de la transmission dopaminergique dans les deux directions.
 
Ce concept est actuellement mis I l'épreuve en collaboration avec E. Bézard et C. Gross (CNRS UMR 5543, Bordeaux) dans le traitement de la maladie de Parkinson, en utilisant un modèle animal réaliste, le singe intoxiqué par le MPTP. Cette maladie résulte du manque de dopamine, mais un traitement de substitution par la levodopa provoque, à terme, des mouvements anormaux (dyskinésies), causés très vraisemblablement par une stimulation excessive du RD3. Les résultats indiquent que le BR 897, par sa propriété agoniste/antagoniste mixte, atténue très sensiblement les dyskinésies, sans affecter l'efficacité thérapeutique de la levodopa. Ces observations suggèrent une piste thérapeutique entièrement nouvelle pour le traitement de la maladie de Parkinson, actuellement testée sur des patients en collaboration avec Y. Agid (Hôpital de la Pitié-Salpétrière, Paris).
 
Cet exemple permet de mesurer les possibilités offertes par la caractérisation d'un nouveau gène, pour la thérapeutique et, plus généralement, pour la connaissance. Les données du génome, désormais disponibles, constituent ainsi une mine d'une très grande richesse. Mais il fait aussi ressortir combien le chemin qui mène du gène vers les applications cliniques peut être long et a nécessité dans ce cas, pour être parcouru, la combinaison d'approches expérimentales et de compétences très diverses, allant de la biologie moléculaire à l'utilisation de modèles physiopathologiques complexes, en passant par la pharmacologie moléculaire, la pharmacochimie, la génétique et la neuroanatomie. Par là, il illustre la nécessité d'une véritable recherche intégrée dans le champ des neurosciences.
 
 
1.Sokoloff, P, Giros, B, Martres, M-P, Bouthenet, M-L et Schwartz,J-C (1990). Nature 347: 146-151.
 
2. Dubertret, C, Gorwod, P, Ades, J, Feingold, J, Schwartz, J-C et Sokoloff, P (1998). Am J Med Genet Neuro psychiatric Genetics 81: 318-322.
 
3. Bordet, R. Ridray, S, Carboni, S. Diaz, j, Sokoloff, P et Schwartz, J-C (1997). Proc Nat Acad Sd USA 94:3363-3367.
 
4. Pilla, M, Perachon, S, Sautel, F, Garrido, F, Mann, A, Wermuth, CG, Schwartz, j-C, Everitt Bj et Sokoloff, P (1999). Nature 400: 371-375.
 
5. Guillin, O, Diaz, j, Carroll, P, Griffon, N. Schwartz, J-C et Sokoloff,P (2001). Nature 411:86-89.

Les recepteurs de la dopamine comme cibles d'action des neuroleptiques
 
 
Pierre SOKOLOFF Unité de Neurobiologie et Pharmacologie (U.109) de l'iNSERM, Centre Paul Broca, 2ter rue d'Alésia, 75014 Paris - France
 
 
II est connu depuis bientôt 30 ans que les neuroleptiques agissent en interrompant la transmission de la dopamine, par blocage des récepteurs de cette amine (Carlsson et Lindqvist, 1963). Deux types de récepteurs, D1 et D2, avaient été différenciés par leur action sur l'adénylate cyclase et par leur spécificité pharmacologique qui indique que seul le sous-type D2 peut représenter la cible commune d'action des neuroleptiques (Kebabian et CaIne, 1979). Grâce aux récents progrès de la biologie moléculaire dans ce domaine, la grande diversité des récepteurs de la dopamine est établie et on en connaît actuellement pas moins de 5 sous-types.
 
 
Après le clonage des gènes des récepteurs D2 (Bunzow et coll., 1988) et D1 (Dearry et coil., 1990; Zhou et coll., 1990; Sunahara et coll., 1990), sont venus ceux de récepteurs moins abondamment exprimés et certainement moins attendus, les récepteurs D3 (Sokoloff et al.. 1990), D4 (Van Tol et coll., 1991) et D5 (Sunahara et coll., 1991). Ces découvertes ont été possibles grace à l'homologie structurale que partagent non seulement les récepteurs de la dopamine, mais également les autres membres de la superfamiile des récepteurs couplés aux protéines G. Les études structurales de l'un d'entre eux la rhodopsine "récepteur de la lumière" nous ont appris qu'ils étaient constitués de 7 domaines transmembranaires que séparent alternativement des boucles extracellulaires et cytoplasmiques.
 
Les gènes des récepteurs de la dopamine peuvent être regroupés en deux groupes selon leurs propnétés structurales : 1) les gènes des récepteurs D1 et D5 ont une séquence codante continue et une homologie élevée en séquence d'acides aminés (50%) ; 2) les gènes des récepteurs D2 D3 et D4 ont leur séquence codante interrompue par des segments d'ADN-non-codant "introns", l'homologie en acides aminés est élevée (le récepteur D2 est homologue à 50% avec le récepteur D3 et 41% avec le récepteur D4). L'homologie entre les membres des deux groupes n'est que de 25%. Les homologies sont plus importantes dans les domaines transmembranaires, qui constituent le siège présumé de l'interaction avec la dopamine, particulièrement au niveau d'un résidu aspartate qui lie l'amine dans le 3ème et de deux résidus sérine qui lient la partie catechol dans le 5ème.
 
Dans le groupe de gènes à introns, différentes protéines peuvent être générées par épissage alternatif du promessager. Dans le cas du récepteur D2 nous avions montré l'existence de deux isoformes différant par la présence d un peptide de 29 aminoacides dans la troisième boucle cytoplasmique, à spécificité pharmacologique identique mais dont l'expression est tissudépendante (Giros et coll., 1989). Ces deux isoformes pourraient interagir avec différentes protéines G et ainsi déclencher des sigaux intracellulaires distincts.
 
Le gène du récepteur D3 génère aussi deux variants plus courts de transcripts qui ont été détectés dans le cerveau de rat grâce à la technique d'amplification génique (PCR) (Giros et al., 1991). La production de ces transcripts résulte de deux processus différents d'épissage alternatif. Dans le premier cas, il s'agit d'une délétion du 2ème exon qui introduit un changement de phase de lecture; ce transcript code pour une protéine de 109 aminoacides. Dans le second cas, une portion de la séquence codante dans le 4ème exon sert de site accepteur d'épissage, ce qui introduit une délétion de 18 acides aminés principalement au niveau de la 2ème boucle extracytoplasmique. La protéine codée par ce deuxième transcript exprimée de façon stable dans des cellules en culture ne révèle aucune activité dopaminergique. La signification physiologique de ces transcripts reste à établir; ils pourraient intervenir dans la régulation du nombre de récepteurs D3 actifs. Ces transcripts plus courts existent aussi chez l'homme et on peut supposer qu'une perturbation de ces mécanismes complexes aurait des conséquences pathologiques.
 
L'extrême variabilité de séquences entre les récepteurs de la dopamine au niveau de la 3ème boucle cytoplasmique, où se situe l'interaction avec les protéines G est probablement en relation avec la diversité des fonctions biologiques de ces récepteurs. Les récepteurs D1 et D2 ont des effets opposés sur l'adenylate cyclase et la phospholipase C, le récepteur D1 étant activateur de ces enzymes alors que le récepteur D2 est inhibiteur. La stimulation du récepteur D2 accélère la libération d'acide arachidonique et la co-stimulation du récepteur D1 potentialise cette réponse (Piomelli et al., 1991), ce qui pourrait être à la base du synergisme observé in vivo entre l'activation de ces deux récepteurs. L'activation du récepteur D3 produit dans les cellules CHO des inhibitions de l'adénylate cyclase qui sont nettement plus faibles que celles observées après stimulation du récepteur D2, ce qui suggère qu'ils diffèrent dans leur mode de couplage et interagissent avec différentes protéines G. Contrairement à d'autres cellules, en particulier les cellules nerveuses, la cellule CHO n'exprime pas la protéine Go, dont le rôle comme élément transducteur reste largement inconnu. Lorsque le gène de cette protéine est cotransfecté dans la cellule CHO avec le gène du récepteur D3, on constate un couplage entre le récepteur et la protéine Go. Ceffe sélectivité d'intéraction entre récepteur et protéine G dans le cas du récepteur D3 suggère des propriétés tout à fait particulières du mode de fonctionnement de ce récepteur.
 
Les autorécepteurs contrôlent l'activité des neurones dopaminergiques eux-mêmes. Ils ont été classés pharmacologiquement comme "D2" mais la substance noire et l'aire tegmentale ventrale, où se trouvent les corps cellulaires des neurones dopaminergiques, contiennent à la fois l'ARN messager du récepteur D2 et celui du récepteur D3. Les deux autorécepteurs pourraient soit être synthétisés par des populations neuronales distinctes, soit avoir des fonctions distinctes inhibition de l'activité électrique des neurones, inhibition de la synthèse ou de la libération de la dopamine. La fonction d'autorécepteur du récepteur D3 est confirmée par le fait que certains agonistes particulièrement actifs sur les autorécepteurs sont aussi des agents sélectifs du récepteur D3.
 
L'hypothèse d'une sélectivité d'action anatomique des récepteurs de la dopamine est renforcée par le fait que la distribution régionale de ces récepteurs, évaluée grace à l'utilisation de sondes nucléotidiques spécifiques, varie considérablement d'un récepteur à l'autre. Les récepteurs D1 et D2 sont les plus abondants et distribués ubiquitairement dans les régions dopaminoceptives, en particulier le néostriatum. Une distribution analogue est trouvée pour le récepteur D5 (Sunahara et coll., 1991). Par contre, l'expression des autres sous-types semble restreinte à certaines régions. C'est particulièrement le cas du récepteur D3, sélectivement exprimé dans les régions limbiques, ce qui suggère qu'il n'exerce pas les actions régulatrices de la dopamine sur la motricité, mais plutôt sur les fonctions cognitives et émotionnelles (Sokoloff et coil., 1990).
 
 
Ceci n'est évidemment pas sans conséquences thérapeutiques s'il est possible d'agir sélectivement sur un sous-type de récepteur avec des agents spécifiques. La dopamine elle-même a une affinité micromolaire pour les récepteurs D1 et D2, submicromolaire pour les récepteurs D4 et D5, et nanomolaire pour le récepteur D3. La quasi-totalité des neuroleptiques ont des affinités nanomolaires pour les r6cepteurs D2 et D3, qui apparaissent comme la cible privilégiée de ces agents. La localisation imbique" du récepteur D3 suggère que le blocage de ce récepteur participe à l'effet antipsychotique des neuroleptiques, alors que leurs effets secondaires extrapyramidaux seraient dus à leur interaction avec le récepteur D2. Cette hypothèse s'appuie aussi sur l'observation que certains neuroleptiques atypiques (sulpiride, amisulpride, pipothiazine, pimozide) sont relativement mieux reconnus par le récepteur D3 que les neuroleptiques plus classiques comme le halopéridol. La clozapine paraît partiellement sélective du récepteur D4, ce qui pourrait être à l'origine de son profil thérapeutique particulier. Quant aux agents sélectifs des récepteurs D1 et D5 leur évaluation clinique est en cours.
 
La découverte que la famille des récepteurs est largement plus diversifiée qu'on l'avait d'abord pensé offre donc des perspectives thérapeutiques très intéressantes. En particulier le clonage du récepteur D3 qui apparaît comme une cible privilégiée pour les antipsychotiques ouvre la possibilité de développer des médicaments à indications plus ciblées ou bien dénués d'effets secondaires.
 
 
Références
 
 
Bunzow J.R., Van TOI H.H.M., Grandy D.K., Albert P., Salon J., Christie McD., Machida C.A., Neye K.A. and Civelli O., Nature 1988, 336: 783-787.
 
Carisson A. and Lindqvist M., Acta Pharmacol. Toxicol., 1963, 20: 140-144. Dearly A., Gingrich J.A., Falardeau P., Fremeau R.T., Bates M.D. and Coron M.G., Nature 1990, 347: 72-76.
 
Giros B., Sokoloif P., Martres M.P., Riou J.F., Emorine L.J. and Schwartz J.C., Nature 1989, 342: 923-926.
 
Giros B., Martres M.P., Pilon C., Sokoloif P. and Schwartz J.C., Biochem. Biophys. Res. Comm., 1991, 176: 1584-1592.
 
Kebabian J.W. and Caine D.B., Nature 1979, 277: 93-96.
 
Monsrna F.J., Mahan L.C., McVittie L.D., Gerfen CR. and Sibley DR., Proc. Natl. Acad. Sci. USA, 1990, 87: 6723-6727.
 
Piomelli D., Pilon C., Giros B., Sokoloif P., Martres M.P. and Schwartz J.C.. Nature, 1991, in press.
 
Sokoloff P., Giros B., Martres M.P., Bouthenet M.L. and Schwartz J.C., Nature, 1990, 347: 146-151.
 
Sunahara R.K., Niznik H.B., Weiner D.M., Stormann T.M., Brann M.R., Kennedy J.L., Gelernter J.E., Rozmahel R., Yang Y., Israel Y., Seeman P. and O'Dowd B.F., Nature, 1990. 347: 80-83.
 
Sunahara R.K., Guan H.C., O'Dowd B.F., Seeman P., Laurier L.G., Ng G.. George S.R., Torchia J., Van Toi H.H.M. and Niznik H.B., Nature, 1991, 350: 614-619.
 
Van Toi H.H.M., Bunzow J.R., Guan H.C., Sunahara R.K., Seeman P., Niznik H.B. and Civelli O., Nature, 1991, 350: 610-614.
 
Zhou Q.Z., Grandy D.K., Thambi L., Kushner J.A., Van Toi H.H.M., Cone R., Pribnow D., Salon J., Bunzow J.R. and Civelli O., Nature, 1990, 347: 76-80.