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mise à jour du
20 janvier 2002
L'Encéphale
1991;17:515-517
 
lexique
 Bâillements et excitation sexuelle
sous clomipramine
 G Bertschy, S Vandel, D Sechter, P Bizouard
service de psychiatrie CHU St Jacques Besançon
 
Bâillements et dépression - Yawning and depression
Le bâillement: de la physiologie à la iatrogénie
Yawning: from physiology to iatrogenic effect

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Nous rapportons 2 cas d'un effet secondaire particulier, induit par la clomipramine, et consistant en la survenue de l'association de bâillements très fréquents et de manifestations d'excitation sexuelle. Cet effet atypique semble exceptionnel, mais il a déjà été décrit dans la littérature comme nous le verrons plus loin. Il nous paraît intéressant de le faire connaître, non seulement du point de vue de la pratique clinique mais aussi du point de vue de la neurobiologie.

Données cliniques : Ces 2 cas concernent des patients noirs africains.Ils ont été collectés dans le cadre d'une étude clinique et thérapeutique de la dépression que nous avons réalisée au Bénin. La population d'étude comportait 83 patients. Ces patients étaient traités par clomipramine 75 mg per os; 41 ont reçu le traitement pendant les 4 semaines prévues, 12 sont sortis de l'étude ou ont été perdus de vue en cours de traitement; les 30 derniers ont été perdus de vue après la consultation initiale et nous n'avons chez eux aucune information sur leur traitement et ses effets secondaires. Ces 2 cas ont donc été recueillis sur un ensemble de 41 plus 12, soit 53 patients.

Cas n° 1 : Il s'agit d'une femme de 29 ans, mariée, venant consulter pour une frigidité évoluant depuis 1 an. Il existe en fait une dépression associée avec asthénie, insomnie, difficultés de concentration, céphalées et préoccupations persécutves. Elle n'a pas d'antécédent. A partir du 1o°j de traiterrmt par clomipramine, 75 mg per os, elle signale la survenue de bâillements très fréquents (de plusieurs par heure jusqu'à un toutes les quelques minutes en cours de matinée) au cours de la journée. A ces bâillements s'associe l'apparition, chaque matin, pendant une durée d'environ 1 h, d'une sensation d'excitation sexuelle intense avec lubrification vaginale abondante (comme jamais elle n'en a connu, précise-t-elle). Vers le 20° jour, ce phénomène d'excitation sexuelle diminue et disparait progressivement pour laisser place à une sensation de désintérêt sexuel, moins marqué toutefois qu'il n'était avant traitement. L'évaluation clinique réalisée au 28° jour montre, par ailleurs, une amélioration globale satisfaisante, exceptée la persistance d'une certaine asthénie et d'une tendance à beaucoup bâiller. La patiente initie d'elle-même, à partir du 27° jour, une réduction de posologie à 37,5 mg qui permettra la dissipation de ces derniers troubles et une rémission complète avec un recul de 4 mois. Les concentrations plasmatiques au 28° jour (sachant que la veille du prélèvement la patiente n'a pris que la moitié de la posologie antérieure de 75 mg) sont de 85 ng/ml pour la clomipramine et 95 ng/mI pour la déméthylclornipramine.

Cas no 2 : Il s'agit d'un homme de 37 ans qui consulte pour un épisode dépressif évoluant depuis quelques semaines, marqué par la tristesse, la perte de goût, l'asthénie, l'insomnie, une baisse de libido et la survenue de 3 attaques de panique très sévères rapidement suivies d'une anxiété généralisée secondaire. A l'âge de 20 ans, il avait fait un premier épisode dépressif associé à des attaques de panique. Au 3° jour de son traitement par clomipramine 75 mg, il fait une attaque de panique nocturne au cours de laquelle survient un orgasme spontané avec éjaculation. Lors du premier épisode, 17 ans plus tôt, la même chose s'était produite sans qu'il soit possible de préciser rétrospectivement la question de la prise d'un traitement. Un tel phénomène ne se reproduira pas. Dans les jours qui suivent, le patient se met à bâiller très souvent, jusqu'à 10 fois par heure. Chaque bâillement est accompagné d'une sensation hypogastrique brève mais intense que le patient décrit comme étant du domaine du plaisir sexuel. Après le 10° jour de traitement, ce phénomène s'atténue mais persiste. Il est toujours présent quand le patient est vu pour la dernière fois au 35° jour de traitement. La réponse thérapeutique apparaît, à ce moment, médiocre. Les concentrations plasmatiques mesurées au 35e jour sont de 70 ng/ml pour la clomipramine et 80 ng/ml pour la déméthylclornipramine.

Autres données de la littérature : En 1983, Mc Lean et al. (10) ont rapporté 3 cas similaires avec la clomipramine. Il s'agissait de bâillements accompagnés d'orgasmes spontanés dans 2 cas (1 homme et 1 femme) ou d'un désir sexuel intense dans 1 cas (1 femme). Les patients étaient traités par 75 à 1OOmg/j de clomipramine pour dépression. L'effet secondaire s'installait dans les prémiers jours après le traitement et seule l'interruption du traitement, amenait une disparition de ces'effets secondaires. Notons que les 3 patients étaient améliorés par leur traitement antidépresseur. Tout récemment, un cas exemplaire de ce même syndrome a été décrit par Modell (11) chez une jeune femme traitée par fluoxétine. Les symptômes apparaissent, en cours de matinée, peu après la prise du médicament et disparaissent en 1 h. Les bâillements atteignent une fréquence maximale de 2 par minute et les symptômes sexuels comportent une turgescence clitoridienne et des orgasmes spontanés. Absent à la posologie initiale de 20 mg, le syndrome se manifeste à partir de celle de 40 mg. Après un arrêt de 2 semaines du traitement, suivi d'une disparition des effets secondaires, la fluoxétine est reprise à la posologie de 40 mg. Les effets secondaires réapparaissent quelques jours, les manifestations sexuelles s'estompent ensuite pour reprendre de plus belle lors du passage à 60 mg/1. Là encore, au bout de quelques jours, les manifestions sexuelles s'atténuent. Au 10e jour, lorsque la patiente arrête le traitement, il ne persiste plus que quelques bâillements.

Discussion : Ces syndromes associant bâillements et excitation sexuelle semblent en fait exceptionnels. Le seul antidépresseur tricyclique impliqué dans sa génèse est la clomipramine, qui a une forte action inhibitrice de la recapture de la sérotonine associée à une action inhibitrice de la recapture de la noradrénaline. La fluoxétine, antidépresseur non tricyclique à l'origine d'un cas tout à fait similaire, est un puissant inhibiteur sélectif de la recapture de la sérotonine. Nous avons donc là des éléments invitant à considérer que ce mécanisme inhibiteur de la recapture de la sérotonine pourrait jouer un rôle dans la genèse de ce syndrome. Il convient de souligner certains éléments paradoxaux. La clomipramine est surtout connue pour ses effets dépresseurs sur la libido (12). Il est vrai, comme le souligne Segraves (12), que cet effet secondaire habituel se manifeste plutôt à des doses de l'ordre de 200 mg/j alors que les 3 cas de syndrome bâillement/ excitation sexuelle, rapportés par Mc Lean (10), surviennent avec des posologies de 75 à 100mg/j. Il en est de même pour nos 2 cas où la dose est de 75mgfj et les concentrations plasmatiques relativement peu élevées. Rappelons cependant la grande dispersion interindividuelle des concentrations de tricycliques pour une même posologie, ce qui rend très relative la discussion sur les posologies. Si, toutefois, un effet dose peut être évoqué, il n'explique pas la rareté du trouble: les prescriptions de clomipramine à 75 ou 100 mg/j ne sont probablement pas moins fréquentes que les prescriptions à 200 mg/j. La fluoxétine est considérée comme ayant peu d'interférences avec la fonction sexuelle, mais des cas d'anorgasmie avaient été décrits (8). Une simple augmentation de l'activité sérotoninergique centrale ne parait pas suffire à expliquer à la fois la survenue de ce syndrome et sa rareté. Klein (7), commentant l'observation du cas associé à la fluoxétine, propose de ne retenir comme explication qu'un aspect idiosyncrasique de la biologie du patient, rappelant au passage que l'association de bâillements et d'orgasmes spontanés se rencontre communément lors du sevrage aux opiacés. Il nous parait possible d'aller un peu plus loin. En effet, des mécanismes dopaminergiques sont en cause dans la production de bâillements tant chez le rat que chez l'homme. Des bâillements peuvent être obtenus chez l'homme par une stimulation des autorécepteurs dopaminergiques, par exemple avec l'apomorphine à faible dose (2, 9). Qui plus est, chez le rat mâle, un syndrome bâillement/érection pénienne peut être induit par stimulation des autorécepteurs dopaminergiques (5). Le mécanisme en cause pour les deux comportements devant être le même, si l'on juge par l'existence d'une corrélation entre la fréquence des bâillements et celle des érections (6). Un maillon de la chaîne d'événements aboutissant à ce syndrome bâillement/excitation sexuelle induit par des antidépresseurs sérotoninergiques pourrait être une diminution d'activité dopaminergique. Un argument indirect en faveur de cette hypothèse pourrait être la constatation de l'aggravation des manifestations extrapyramidales chez les patients recevant ou ayant reçu tout récemment un neuroleptique lorsqu'on leur prescrit de la fluoxétine (3, 4, 13). Ces observations sont toutes récentes et demanderaient à être appuyées par des mesures de concentrations plasmatiques pour vérifier l'absence d'interaction métabolique. Rappelons aussi que de tous les antidépresseurs tricycliques, la clomipramine est celui qui semble le plus impliqué dans une augmentation des taux de prolactine, hormone dont l'inhibiteur de la sécrétion le plus actif est la dopamine (1).

Conclusion : En guise de conclusion, et pour revenir sur le caractère exceptionnel de ce syndrome, induit par des antidépresseurs augmentant l'activité sérotoninergique, si idiosyncrasie il y a, elle pourrait donc peut-étre concerner une particulière sensibilité de la modulation sérotoninergique de l'activité dopaminergique impliquée à la fois dans lebâillement et la stimulation sexuelle. Ceci nous amène à souligner l'intérêt à ne pa raisonner en terme d'un seul neurotransmetteur et à savoir prendre en compte les interactions entre neurotransmetteurs.

Références :

  1. BEN HADJ AU B. Prolactine, dépressions et antidépresseum Encephale 1987; 13: 101-12.
  2. BLIN 0, DANJOU P, WAROT D et al Induction of yawning low doses of apomorphine (0.1, 0.2 and 0.4 mg) in healthy volunteers. Psychiatr Psychobiol 1988; 3: 195-9.
  3. BOUCHARD RH, POURCHER E, VINCENT P. Fluoxetine and extrapyramidal side effects. Am J Psychiatry 1989, 146: 1352-3.
  4. BROD TM. Fluoxetine and extrapyramidal side effects (letter)Am J Psychiatry 1989; 146: 1353.
  5. GOWER AJ, BERENDSEN HHG, PRINCEN MM, BROEKKAMP CLE. The yawning-penile erection syndrome as a model for putative dopamine autoreceptor activity. Eur J Pharmacol 1984; 103: 81-9.
  6. HOLMGREN B, URBA-HOLMGREN R, TRUCLOS N et al. Association of spontaneous and dopaminergic induced yawning and penile erections in the rat. Pharmacol Biochern Behav 1985; 22: 31-5.
  7. KLEIN DF. Repeated observations of yawning, clitoral engor~ gement and orgasm associated with fluoxetine administrafœ oetteo. J Clin Psychopharrnacol 1989; 9: 384.
  8. KUNE MD. Fluoxetine and anorgasmia (letter). Am J Psychiatry 1989; 146: 804-5.
  9. LAL S, GRASSINO A, THAVUNDAYIL JX, DUBROWSKY B. A simple method for the study of yawning in man induced by the dopamine receptor agonist apomorphine. Prog Neuropsychopharmacol Biol Psychiatry 1987; 11 : 223-8.
  10. MAC LEAN JD, FORSYTHE RG, KAPKIN IA. Unusual side effects of clomipramine associated with yawning. Can J Psychiatry 1983, 28: 569-70.
  11. MODELL JG. Repeated observations of yawning, clitoral engorgement and orgasm associated with fluoxetine administration. J Clin Psychopharmacol 1989; 9 : 63-5.
  12. SEGRAVES RT. Effects ~of psychotropic drugs on hurnan erection and ejaculation. Arch Gen Psychiatry 1989, 46,275-84.
  13. TATE JL. Extrapyramidal symptoms in a patient taking haloperidol and fluoxetine. Am J Psychiatry 1989; 146: 399-400