Le bâillement, du réflexe à la pathologie
Le bâillement : de l'éthologie à la médecine clinique
Le bâillement : phylogenèse, éthologie, nosogénie
 Le bâillement : un comportement universel
La parakinésie brachiale oscitante
Yawning: its cycle, its role
Warum gähnen wir ?
 
Fetal yawning assessed by 3D and 4D sonography
Le bâillement foetal
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Le bâillement foetal
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mise à jour du
9 juin 2014
 
Pierre Janet 
1859-1947
 
 O. Walusinski
 
Les internes de JM. Charcot
 
 Les biographies de neurologues
 
 
L'histoire des neurosciences à La Pitié et à La Salpêtrière 
The history of neurosciences at La Pitié and La Salpêtrière
J Poirier  
 
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Janet et l'hystérie
 
Janet se présente lui-même dans la conférence qu'il donne le 11 mars 1892, devant Charcot à La Salpêtrière:
 
« vous savez que M. Charcot a démontré la nature morale, psychologique, des paralysies hystériques, qu'il a eu l'audace de présenter certaines paralysies flasques d'apparence toute physique comme de simples phénomènes de pensée. Par là, il a indiqué le chemin que l'on devait suivre pour étudier de la même manière d'autres symptômes de l'hystérie. Aussi est-il tout naturel que M. Charcot ait désiré entendre exposer, dans l'amphithéâtre de la clinique, des études nouvelles sur l'état mental des hystériques qui venaient simplement continuer les siennes. Quant à moi, je suis très fier que M. Charcot m'ait choisi pour vous exposer des questions qui l'intéressent si fort, je suis fier surtout qu'il ait en moi assez de confiance pour croire que mes analyses psychologiques ne s'écartent pas de la vérité médicale, de la vérité clinique, à laquelle tout ici doit être subordonnée. Je suis heureux aussi de cette occasion de lui témoigner ma reconnaissance. Il y a déjà dix ou douze ans, quand j'étais professeur de philosophie en province, je suis venu, sans titre, demander quelques conseils à M. Charcot pour les études de psychologie expérimentale que je voulais aborder. M. Charcot l'a sans doute oublié, mais je me souviens encore de la bienveillance avec laquelle il m'a accueilli et des conseils précieux qu'il m'a donnés. Je suis de ses élèves plus qu'il ne le croit lui-même. Quand plus tard, je suis venu travailler dans son service, la sympathie, l'amitié de tous que j'ai rencontrées ici, m'a rendu cher le service de la clinique, et si mes humbles travaux peuvent ajouter quelque petit détail aux belles recherches qui ont été faites dans ce service, je suis heureux ».
 
Neveu du philosophe Paul Janet (1823-1899), Pierre Janet est né à Paris le 30 mai 1859 dans une famille modeste d'employés de bureau. Il prépare l'agrégation de philosophie à l'Ecole Normale Supérieure en compagnie d'Henri Bergson (1859-1941), d'Emile Durkheim (1858-1917) et de Jean Jaurès (1859-1914) tout en étant préparateur d'Albert Dastre (1844-1917), professeur de physiologie à La Sorbonne, précision indispensable pour comprendre l'intérêt de Janet pour la médecine.
 
janet dutil
Henri Lamy (1864-1909), Pierre Janet et Adolphe Dutil en 1892
  © Extrait de l'Album de l'internat de La Salpêtrière conservé à la Bibliothèque Charcot à l'hôpital de la Salpêtrière
(Université Pierre et Marie Curie, Paris)  
 
Pendant les sept années qu'il enseigne la philosophie au Havre, influencé par l'enseignement de Théodule Ribot (1839-1916), il y fréquente l'hôpital avec l'idée d'y étudier l'hypnose en vue de sa thèse. Sa patiente est la 'voyante et magnétiseuse Léonie', une domestique normande âgée d'une quarantaine d'années, 'hystérique somnambule', soignée par les aliénistes Joseph Gibert (1829-1899) et Léon-Jean Powilewicz (1852-1932). Il en dégage sa thèse en philosophie soutenue en 1889: « L'automatisme psychologique, essai de psychologie expérimentale sur les formes inférieures de l'activité humaine » au retentissement considérable.
 
Probablement influencé par Jules Baillarger (1809-1890) qui décrit en 1845 « l'exercice involontaire de la mémoire et de l'intelligence » aboutissant à « l'indépendance des facultés soustraites au pouvoir personnel » et bâtit une théorie de l'automatisme psychique, Janet se penche, dans sa thèse, sur les maladies de la personnalité, notamment les troubles liés aux personnalités multiples et tente de concilier l'étude des phénomènes de la conscience avec la notion d'un subconscient, « ce qui est au-dessous de la conscience, mais de même nature qu'elle », s'exprimant au travers d'une double personnalité dans une perspective nettement philosophique et non médicale comme le confirment les félicitations du jury.
 
Janet fait la connaissance de Charcot lorsque celui-ci vient au Havre, en 1885, examiner la fameuse Léonie avec d'autres membres de la Société de Psychologie Physiologique créée avec Ribot et Charles Richet (1850-1935) en 1868. Janet commence à fréquenter La Salpêtrière peu après. Charcot crée pour lui 'un laboratoire de psychologie' en1890, unissant ainsi philosophie scientifique et médecine, dans l'esprit positiviste d'Auguste Comte (1798-1857). Charcot matérialise ce qu'il avait évoqué devant ses élèves le mardi 17 janvier 1888: « il faut créer une psychologie renforcée par les études pathologiques auxquelles nous nous livrons. Nous sommes en train de la faire avec des psychologues qui, cette fois, veulent bien ne pas considérer uniquement ce qu'on appelle l'observation intérieure ». Janet est celui-là et non Ribot adoubé pourtant auparavant par Charcot, qui l'avait fait portraiturer en 1887, par André Brouillet (1857-1914), dans sa célèbre 'leçon clinique à La Salpêtrière'.
 
Janet garde la direction de ce laboratoire jusqu'en 1910, date à laquelle Dejerine, troisième successeur de Charcot, le congédie et s'oppose à son élection à l'Académie de Médecine. Dejerine, chez qui ressurgit l'idéologie moralisatrice luthérienne, ne tolère pas que Janet se refuse obstinément à confondre l'ordre médical, qui soigne et parfois guérit, et l'ordre moral qui condamne. Le neuro-pathologiste Jean Nageotte (1866-1948) accueille alors Janet dans une modeste pièce pour qu'il reste travailler à La Salpêtrière. Marque probable de nostalgie, Janet continue toute sa vie à publier ses grands ouvrages sous l'estampille du laboratoire de psychologie de la Salpêtrière, pourtant défunt.
 
Janet soutient sa thèse de doctorat en médecine le 29 juillet 1893, la dernière, avec celle soutenue le même jour par son interne Henri Lamy (1864-1909), présidée par Charcot qui meurt le 16 août 1893. Charcot écrit dans la préface de l'édition commerciale de la thèse: « les études de mon élève Janet viennent confirmer une pensée souvent exprimée dans nos leçons, c'est que l'hystérie est en grande partie une maladie mentale. C'est là un des côtés de cette maladie qu'il ne faut jamais négliger si on veut la comprendre et la traiter ».
 
Janet exerce alors, en clinicien psychothérapeute, la médecine chez lui et à La Salpêtrière. Il échoue à sa première tentative d'entrer à la Société Médico-Psychologique en novembre 1893. Il n'est en effet ni ancien interne des hôpitaux ni aliéniste; son parcours médical est trop atypique. De plus, il défend un concept de traumatisme psychique à l'origine de l'hystérie devant un cénacle acquis depuis Bénédict Augustin Morel (1806-1873) aux idées de 'dégénérescence' et 'd'héréditarisme'.
 
Janet est un habitué des dîners de la maison de santé de Vanves, tenue par Jules Falret (1824-1902), où les invités se mêlent aux malades. Le soutien de Falret, rapporteur de sa candidature, lui permettra d'y être admis en 1895, société dont il devient président en 1929. En 1897, il accède à la chaire de 'psychologie expérimentale' à La Sorbonne. Il succède à Ribot au Collège de France, dont il occupe la chaire de 'psychologie expérimentale et comparée' de 1902 à 1934. Janet fonde la Société de Psychologie en 1901 et le Journal de Psychologie Normale et Pathologique en 1904. Janet n'a jamais fondé d'école, mais son influence se lit dans les travaux des psychiatres Gaëtan Gatian de Clérambault (1872-1934), Karl Gustav Jung (1875-1961), Henry Wallon (1879-1962), , Eugène Minkowski (1885-1972), Jean Piaget (1896-1980), Henri Ey (1900-1977), Jacques Lacan (1901-1981) et Jean Delay (1907-1987) notamment.
 
Bien que son œuvre englobe à peu près tous les domaines de la psychologie normale et pathologique, relatée dans une vingtaine de volumes, et près de 300 articles ou contributions à des volumes collectifs, le succès de la psychanalyse, après la deuxième guerre mondiale, plonge Janet dans l'ombre. Faut-il attribuer la méconnaissance de ses recherches à son horreur de toute réclame, certaines inimitiés, celle d'Alfred Binet (1857-1911) notamment ? Sans aucun doute, mais Janet, fidèle à sa formation initiale, a souvent publié ses observations de psychiatre dans la 'Revue Philosophique' ce qui n'a pas aidé à leur diffusion auprès des médecins. L'obscurité tombée sur ses découvertes a permis à un grand nombre de s'attribuer ses résultats.
 
Dans sa thèse, en 1889, n'écrivait-il pas déjà: « l'idée bannie, comme un parasite psychique, cause tous les accidents des maladies physiques et mentales ». L'hommage rendu à Charcot par Janet peut parfaitement lui être décerné: « grâce à l'autorité considérable de son nom, il a pu mettre en pleine lumière et faire entrer dans le domaine de la science des faits observés jusque-là dans l'ombre et entourés de mystère et de superstition ».
 
pierre janet
 
La définition et la nature de l'hystérie par Janet
Janet admet que les troubles hystériques ne sont pas la conséquence de lésions organiques mais d'ordre psychologique, c'est à dire « liés aux fonctions les plus élevées du cerveau mais nous ne voulons pas nous permettre des spéculations métaphysiques sur des altérations inconnues des cellules cérébrales ». Sa démarche est uniquement clinique, basé sur l'examen des malades. Il débute, en 1892, par l'anesthésie qui devient le prototype de sa conception. En opposition avec les psychologues philosophes pour qui la sensation constitue un état de conscience, Janet associe à la perception une idée plus complexe, propre à la personnalité du sujet à un moment donné, c'est à dire à des souvenirs personnels et à l'imagination.
 
Ainsi une sensation se forme en opérant une synthèse d'une perception et de son interprétation, variable suivant l'état affectif. Il qualifie de subconscient ce processus en s'inspirant du philosophe Pierre Maine de Biran (1766-1824), un précurseur déjà intéressé par le sommeil et le somnambulisme, qu'il souhaite ainsi unir à Charcot dans l'avènement d'une psychologie scientifique que le maître de La Salpêtrère appelait de ses vœux dans sa leçon du mardi 17 janvier 1888: « ce que j'appelle la psychologie, c'est la physiologie rationnelle de l'écorce cérébrale ». L'absence de cette synthèse est à l'origine d'un déficit, comme une anesthésie ou une paralysie, secondaire à 'un rétrécissement du champ de la conscience'. L'amnésie hystérique obéit à des mécanismes identiques, les perceptions ne sont plus agréées à l'ensemble de la personnalité, surtout affective: « l'oubli de tout ce qui s'est passé pendant le somnambulisme quand le sujet revient à l'état normal, malgré toutes les complications que ce symptôme peut présenter, nous a paru le seul caractère constant et essentiel du somnambulisme. [...] il est toujours le résultat, la manifestation d'un dédoublement de la personnalité ».
 
Pour Janet, les extases, les catalepsies, les fugues ne sont que « des degrés ou des formes variées de somnambulisme » et l'explication principale est que « les phénomènes psychologiques dont dépendent ces accidents sont des amnésies ». Il étend ensuite son raisonnement: « l'attaque est provoquée par un phénomène psychologique qui est associé à l'état émotif, l'idée fixe, le rêve constitutif de la seconde existence ». Apparaît ici le concept propre à Janet 'd'idées fixes', c'est à dire qu'au cours des manifestations hystériques, certaines idées ne se comportent pas comme les autres car elles prennent une importance anormale et acquièrent un caractère d'automatisme involontaire: « c'est un état de distraction naturelle et perpétuelle qui empêche des personnes d'apprécier aucune autre sensation en dehors de celle qui occupe actuellement leur esprit ». Un système organisé d'images anciennes est reproduit, se développe et se perpétue sans que le sujet en ait la maitrise du fait d'une perte de sa capacité de synthèse. Janet rappelle que Charcot avait déjà écrit: « en raison de la dissociation de l'unité mentale, certains centres peuvent être mis en jeu sans que les autres régions de l'organe psychique en soient avertis, et soient appelés à prendre part au processus ».
 
La suggestion, concept dont Janet minimise l'importance, agit par un mécanisme semblable mais n'est pas une idée parasite introduite à l'insu du sujet. Par opposition à l'obsession, ce système d'idées fixes est ignoré du malade. Janet conçoit alors qu'un traumatisme psychique originel, de nature émotionnel, reparait ultérieurement dans des expressions somatiques (anesthésie, paralysie, extase, délire, agitation, tics, tremblements, contractures). L'ancien interne de Charcot et créateur d'un marteau à réflexe pour Babinski, Paul-Oscar Blocq (1860-1896), résume ainsi les conceptions de Janet: « il y a dans la perception personnelle une opération en deux temps. Dans le premier, les excitations provoquent dans l'esprit des phénomènes simples, subconscients. Dans le second, ces phénomènes sont combinés avec la sensation antérieure de la personnalité, et ainsi deviennent conscients. [...] L'anesthésie est une distraction très grande et perpétuelle qui rend les sujets incapables de rattacher certaines sensations à leur personnalité » .