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mise à jour le
27 novembre 2021
Annales Médico-psychologiques
2021;179(9):830-834
 
 
PDF
Contagiosité des comportements humains :
la réplication du bâillement peut-elle nous éclairer ?  
 
Version 2004
Version 2007
Echokinésie du Bâillement
 
Test de susceptibilité à la contagion du bâillement
Contagious yawning - Réplication du bâillement bibliographie complète
 
Yawning: unsuspected avenue for a better understanding of arousal and interoception
Echokinetic yawning, theory of mind, and empathy
 
Résumé
Le bâillement est une stéréotypie comportementale observée chez tous les vertébrés, qu'ils soient homéothermes ou poïkilothermes, vivant sur terre, dans l'eau ou dans les airs. Le bâillement apparaît donc comme un vestige ancestral commun maintenu sans variation morphologique notable, tout au long de l'évolution. On distingue trois types différents de bâillements. Le bâillement « universel » est associé aux rythmes circadiens, c'est-à-dire aux alternances sommeil / éveil et aux sensations de faim / satiété. Présent seulement chez les mammifères (et peut-être les oiseaux), un autre type de bâillements est associé aux émotions et à la sexualité dans quelques espèces. Il exerce une fonction d'homéostasie apportant le calme après le stress. Les éthologues appellent ce type de comportement une activité dérivative. Enfin, le bâillement dit contagieux n'est observé que chez les grands singes et l'Homme, les éléphants, le chien sous certaines conditions et peut-être quelques perroquets, les rats et les porcs. Cette capacité à répondre involontairement aux bâillements des autres nécessite d'être capable d'attribuer un état mental à l'autre (théorie de l'esprit) et de décoder les émotions d'autrui afin d'en partager le ressenti (empathie). La contagion du bâillement n'apparaît chez l'enfant que vers quatre ans, ce qui indique la nécessité d'une maturité fonctionnelle des régions corticales qui la sous-tend. L'étude de cette réplication comportementale involontaire est une voie de recherches, méconnue, des processus sociaux mimétiques.
 
Abstract
Yawning is a stereotyped behavior, observed in cold-blooded and warm-blooded vertebrates, from reptiles with rudimentary "archaic" brains to human primates, in water, air, and land environments. Yawning appears to be an ancestral vestige maintained throughout evolution with little variation, bearing witness to its early phylogenetic origins. Three different types of yawning can be distinguished. "Universal yawning", which is seen in all vertebrates, is associated with daytime circadian rhythms, i.e. sleep / arousal and hunger / satiety. "Emotional yawning", which is only seen in mammals (and perhaps birds), has a calming effect after stress. Ethologists call this type of behavior a displacement activity. Finally, "contagious yawning", which is observed only in great apes, in humans, in elephants, in dogs under certain conditions and perhaps in social parrots (budgerigar), rats and pigs, is the ability to respond to yawning in others.
 
Experimental research indicates that contagious yawning relies on the capacity known as mental state attribution on one hand, and the capacity to build knowledge of mental states in oneself, on the other. These two conditions involve a "theory of mind" (TOM). This ability to infer mental states and emotions in others represents an evolved psychological capacity most highly developed in humans and, up to a point, in non-human primates and elephants. In addition, humans can also empathize with others, that is, share their feelings and emotions in the absence of any direct emotional stimulation to themselves. Innate emotional and motivational processes are found to exert unconscious and automatic influences on social judgments and behavior. Contagious yawning, the onset of a yawn triggered by seeing, hearing, reading, or thinking about another person yawning, occurs as a consequence of the ability to infer or empathize with what others want, know, or intend to do, requiring the neurological substrate responsible for self-awareness and empathic modeling, by which a corresponding response is produced in oneself.
 
Functional imaging suggests that activation of the underlying network integrating these processes is also responsible for decoding cognitive empathy. As a neocortical activity (inferior-frontal cortex, superior temporal sulcus, ventral premotor cortex, right parietal cortex, posterior cingulate, anterior insula, and amygdala), contagious yawning is a sign of involuntary empathy. Thus, we see that, through evolution, a behavior can be recycled for different purposes according to the increasing complexity of the central nervous system, correlated with the richness of social interactions. Researches on this involuntary behavioral replication is an unrecognized avenue to study mimetic social processes.
Brève revue sur le bâillement
Le bâillement est comportement observable universellement chez tous les vertébrés ce qui signe son ancienneté phylogénétique. Que ce soit dans les airs, dans l'eau ou sur terre, tous bâillent avant ou après le sommeil, en cas de faim ou de satiété. Les carnivores, des prédateurs, bâillent plus que les herbivores, c'est à dire que plus la ration calorique est ingérée rapidement sous un petit volume, et donc de haute valeur énergétique, plus de sommeil sera autorisé / requis [37]. En outre, ce sommeil comprend une proportion plus grande de sommeil paradoxal. Une des finalités du bâillement, encore théorique, serait d'augmenter rapidement la vigilance [40] en engageant l'activité du cortex attentionnel (brain network of attention = the cingulo-opercular network) [32] au détriment du mode par défaut (default mode network) en augmentant la clairance des facteurs somnogènes accumulés dans le liquide cérébrospinal [39].
A titre d'exemple, un serpent poïkilotherme bâille comme première activité motrice visible quand sa température corporelle atteint le seuil nécessaire à sa motilité. Chacun connaît les bâillements des chiens et des chats mais peu ont vu une vache bâiller, et encore plus exceptionnellement une girafe dont le sommeil est haché en multiples épisodes inférieurs à cinq minutes.
 
Uniquement chez les mammifères, s'observent des bâillements en lien avec le stress. De par sa tonalité dominante finale parasympathique (ocytocine _ dopamine _ acétylcholine), ce comportement généré par quelques milliers de neurones ocytocinergiques de la partie parvocellulaire du noyau paraventriculaire de l'hypothalamus, apaise après le déclenchement du stress, autorisant une homéostasie des systèmes d'alerte et de protection de la survie [18]. On peut en rapprocher l'observation de bâillements associés à la sexualité dans certaines espèces à vie sociale réglée autour d'un mâle dominant (le macaque dominant bâille avant de s'accoupler, comme pour afficher son statut) [7].
Enfin, réservée à quelques espèces sociales et coopératives, la réplication du bâillement (alias contagion), ou encore mieux l'échokinésie, mot forgé par Jean-Martin Charcot (1825-1893), n'est actuellement documentée que pour les grands singes (l'Homme, le chimpanzé et le bonobo), l'éléphant, le loup, c'est à dire uniquement des espèces réussissant le test de l'auto-reconnaissance dans un miroir. Certains perroquets et des chiens, après une longue vie commune avec un maître humain, à l'origine d'une complicité comportementale, ont réussi cette réplication inter-espèces sans y être sensible entre congénères [15]. Des études concernant les loups et les porcs semblent évoquer l'existence d'une réplication des bâillements mais les méthodologies expérimentales mises en œuvre ne permettent pas de s'assurer que les bâillements ne sont pas simplement synchrones, en raison de rythmes de vie identiques d'un groupe de congénères au sein d'une meute ou d'un élevage.
Il est possible d'interpréter ces différentes modalités du bâillement comme un témoignage d'un recyclage d'un comportement, au cours de l'évolution, secondaire à la complexification du système nerveux, évoluant depuis la survie individuelle jusqu'à celle d'un groupe social coopératif. C'est plus spécifiquement cette réplication du bâillement qui nous intéressera maintenant.
 
Imiter : apprendre et communiquer
Seule une perspective évolutionniste et développementale permet d'appréhender le bénéfice apporté par l'imitation aux êtres vivants en groupes sociaux. Plusieurs niveaux de complexité s'attachent à cette faculté. Franz-Joseph Gall (1758-1828) reconnaît déjà l'imitation comme « une faculté fondamentale » et lui assigne une position déterminée [10]. James Baldwin (1861-1934) [1], au XIXe siècle, puis Henri Wallon (1879-1962) [36] dans l'entre-deux guerres, ont décrit le mimétisme comme un comportement de partage émotionnel, notamment comme la première forme d'interaction mère-enfant. Cette forme considérée comme une imitation de bas niveau a été véritablement démontré par Andrew Meltzoff en 1983 [26]. D'abord appréciée comme une activité sous corticale transitoire au début du développement, ce mimétisme est, en fait, une première étape évolutive se complexifiant et conduisant au-delà de la troisième année de la vie à l'imitation volontaire requérant une capacité de planification, de représentation d'un programme, sa mémorisation puis sa reproduction. Cette forme d'imitation évoluant de l'involontaire vers le volontaire est la forme essentielle de la transmission culturelle, porteuse d'une référence à l'autre comme agent. Loin de se cantonner aux acquisitions motrices élaborées, cette faculté autorise le développement du langage et est donc indispensable à toutes les modalités de communication. La psychopathologie développementale en est le miroir inverse [12].
 
Les années 2000 marquent une rupture épistémologique. Apanage presque exclusif des psychologues développementalistes, l'étude de l'imitation intègre à partir de cette date, pleinement, les sciences cognitives sous toutes leurs facettes. La mise en évidence de neurones spécifiques présents dans les aires motrices, dits neurones miroirs, étend le domaine de l'imitation vers un nouveau chapitre de la neurobiologie cognitive, le décodage de l'intentionnalité. Cette étape ouvre alors la voie aux recherches consacrées à la perception et la transmission interindividuelle des émotions. La réplication du bâillement en a incidemment, un peu seulement, bénéficié.
 
Réplication du bâillement
L'émetteur du bâillement n'a aucune motivation à déclencher le bâillement d'autrui. Le receveur doit être dans un état mental particulier pour l'exprimer ; endormi ou concentré dans un travail intellectuel, le sujet est insensible au bâillement de l'autre. La vue est la modalité de déclenchement la plus fréquente mais le son seul peut suffire, et même la suggestion mentale [24]. Lire un texte évoquant le bâillement peut faire bâiller. Vous en cet instant, peut-être ! Une fois enclenché, ce bâillement déclenché par un autre ne peut être arrêté.
 
Environ 75% de la population est sensible au bâillement de l'autre. Certaines altérations des capacités de décodage de l'expression des émotions seraient la cause de l'insensibilité au bâillement d'autrui comme l'autisme et l'alexithymie [6,23]. Le niveau d'attachement familial module cette sensibilité à bâiller. Par exemple, une mère est plus sensible aux bâillements de son bébé qu'elle ne l'est aux bâillements d'un enfant qui n'est pas le sien. Les chimpanzés sont plus réceptifs aux bâillements du mâle dominant qu'à ceux d'autres membres de la tribu alors que chez les bonobos, où la dominance est l'apanage d'une femelle, c'est celle-ci qui reçoit le plus de bâillements en écho de sa propre émission [30]. L'éléphant est plus réceptif aux bâillements de son cornac qu'à ceux d'autres humains, cette modalité inter-espèce étant remarquable [34]. Une étude ancienne a montré que plus une personne bâille facilement en réponse à un bâilleur, plus elle est réceptive aux messages publicitaires !
 
La finalité de cette réplication n'est encore que supputée. Est-ce une synchronisation interindividuelle des états de vigilance ? Est-ce une conséquence, sans but propre, des capacités des grands singes à user d'une communication non verbale au sein de patterns complexes d'interactions sociales ? Gestes, postures, expressions faciales sont des indices et signaux de l'état subjectif, émotionnel et intentionnel d'un individu. Interagir avec lui nécessite une capacité cognitive de décodage, activité initialement automatique et involontaire, qui permet de comprendre et d'inférer les intentions et les émotions de l'autre. Cette capacité, dans sa forme la plus évoluée chez l'Homme, autorise de s'approprier la perspective d'autrui, de s'identifier à lui afin de donner une interprétation, de prédire, ce qu'il croit et ressent. Tout ceci définissant la théorie de l'esprit (Theory of Mind / TOM) [8].
 
Enfin, notons que l'enfant n'est sensible à la réplication du bâillement qu'à partir de la quatrième année de la vie, c'est à dire après avoir acquis la capacité de réfléchir à ce que l'autre pense, à attribuer des états mentaux à autrui. Un état de maturation cognitive, d'ordre fonctionnel, est donc nécessaire afin d'être sensible à la réplication du bâillement. Ainsi, un lien phénoménologique apparaît entre la capacité à attribuer un état mental à autrui, qui est à la base de l'empathie, et la réplication du bâillement [29].
 
Dieu existe parce que le bâillement est contagieux
La TOM sous-entend le décodage de l'intentionnalité des gestes (au point de vue moteur) et le décodage des émotions (au niveau sensitif et émotionnel). En conséquence, elle autorise la récursivité « je sais que tu sais que je sais ». En sont nées les stratégies d'alliances et de coopération, la compréhension de la souffrance de l'autre (empathie) autorisant de l'aider [20]. Ces capacités cognitives sont à la base de l'invention de Dieu. Dieu a, de tous temps et en tous lieux, une représentation humaine. On dialogue avec lui, on lui attribue des opinions, des désirs, des directives et des récompenses. Les croyants agissent en fonction du jugement qu'ils pensent que Dieu leur attribue, illustration de la récursivité. Ces capacités cognitives sont déficitaires dans l'autisme et perturbée dans la schizophrénie. Combien de délires schizophréniques ont pour thème Dieu, résultats d'une inversion des attributions ? Le concept de Dieu (ce qu'il devrait être s'il existait) n'est pas inné mais nécessite un apprentissage qui ne peut être opéré que lorsque les circuits neuronaux sous-tendant les capacités cognitives de la TOM deviennent fonctionnels, c'est à dire entre 3 et 5 ans [4]. L'enfant plus petit ne juge les situations que de son point de vue mais n'a pas la capacité d'imaginer la situation telle que vue par un autre. Il ne peut donc pas envisager un Dieu [33]. Par analogie, on peut en déduire que le concept de Dieu n'est possible que par la mise en action de capacités cognitives élaborées, les mêmes que celles à l'origine de la réplication du bâillement, c'est à dire aux capacités d'empathie et d'imitation, apparues tardivement au cours de l'évolution des hominidés [38]. Le langage est clairement le support supplémentaire nécessaire au concept de Dieu. Les grands singes répliquent leurs bâillements, mais sans langage articulé, véhicule indispensable à l'abstraction, ils n'ont pas besoin d'implémenter un Dieu pour articuler leur vie sociale hiérarchisée et les récompenses associées matérielles et psychologiques.
 
De la résonnance motrice à la contagion émotionnelle
Les régions corticales qui s'activent au cours de la perception d'une action réalisée par une autre personne, sont précisément celles qui sous-tendent l'exécution de cette action. Lorsqu'un individu observe le geste d'autrui, le programme moteur de ce même geste est activé dans le cerveau de cet observateur, ce qui montre que celui-ci se sert de son propre système moteur, ses neurones miroirs, afin de se représenter le geste d'autrui [25]. Le mouvement perçu doit être biologique, naturel, c'est à dire qu'il respecte les contraintes biomécaniques du corps [41]. Résultat de réponses adaptatives sélectionnées par l'Évolution, cet automatisme moteur coopératif valorise la vie en groupe en termes de sécurité face aux prédateurs (Pensez aux pigeons qui s'envolent devant vous quand vous marchez sur un trottoir, un seul vous a vu et tous prennent l'air) [2]. Cependant, la réplication du bâillement ne répond pas à ce mécanisme élémentaire comme l'indique son délai d'apparition et son inconstance.
 
La reconnaissance des visages humains répond à l'activation de neurones, spécifiquement dédiés, au niveau temporal. La région temporale inférieure permet une identification immédiate d'un visage dans sa globalité, tant pour l'identité que pour l'expression, en possédant, apparemment, une mémorisation autonome, non hippocampique [3]. Le sulcus temporal supérieur (STS) s'active, lui, spécifiquement lors de perception des mouvements des yeux, de la bouche, suggérant son implication dans la perception visuelle des émotions [31]. L'activation du STS lors de la réplication du bâillement, de façon automatique et involontaire, se transmet vers la région péri-amygdalienne gauche, le cortex cingulaire postérieur et le précuneus [5]. Ces structures sont associées à la discrimination des émotions exprimées par la face humaine et, notamment, dans l'appréciation de la véracité du ressenti exprimé. L'absence d'activation de l'amygdale elle-même indique l'absence de perception de peur, et témoigne d'un état apaisé du receveur de la stimulation pendant qu'il perçoit un bâilleur. La perception est multimodale et active le système limbique (insula, péri-amygdale) ce qui permet d'apprécier le bâillement comme une forme d'émotion quant à sa propagation interindividuelle [27].
 
Par un mécanisme similaire, la perception d'une émotion, sous la forme d'une expression faciale, engendre son mimétisme automatique. Celui-ci provoque à son tour des stimuli afférents en provenance des récepteurs musculaires et aponévrotiques faciaux qui déclenchent l'évocation de l'émotion perçue chez / pour le receveur. Parmi toutes les émotions, les différences se situent au niveau du lien de l'émotion à l'action/réaction (la peur par exemple) et le degré de socialisation de l'expression émotionnelle (la joie par exemple). L'exemple paradigmatique de cette contagion motrice est la peur, émotion la mieux perçue et traitée avec très peu de filtres cognitifs en lien avec des informations contextuelles [13]. A l'opposé, la colère, émotion sociale par excellence, est associée à un contexte d'interaction au traitement cognitif plus important avec une inhibition de la réaction motrice immédiate. Ceci indique l'existence d'une hiérarchie des émotions et des mécanismes qui sous-tendent leur traitement cognitif, résultat de l'évolution et de l'apprentissage, avec en corollaire des dissociations pathologiques entre la contagion motrice et les capacités socio-affectives (autisme) [22].
 
Cette hiérarchie distingue le niveau basique où le mimétisme comportemental, de type perception-action, égalise contagion et synchronisation ; un niveau intermédiaire où la contagion motrice, notamment émotionnelle, permet une transmission d'informations sur la nature de l'émotion, son traitement involontaire avec une mémoire individuelle de situations analogues vécues antérieurement perfectionne la réponse adaptée, donc un traitement cognitif de bas niveau (la réplication du bâillement) ; enfin une contagion émotionnelle élaborée complexe avec capacité de réponse différée et élaborée pouvant conduire à une inhibition, c'est à dire à l'absence de réaction extériorisée motrice mais seulement psychologique (la psychologie des foules de Gustave Le Bon (1841-1931) [19] ou l'affaire du Levothyrox© par exemple). Ces niveaux s'incorporent les uns aux autres comme des poupées russes.
 
La perception sociale et la résonnance comportementale
Il existe un lien entre la perception sociale et le comportement. Jean-Gabriel Tarde (1843-1904) s'est penché sur ce thème en 1890 dans son livre « Les lois de l'imitation, étude sociologique » [35]. La perception du comportement moteur des autres, ainsi que l'activation automatique des appartenances à des catégories plus abstraites (par exemple raciales, de genre, liées au rôle ou la fonction), se produit passivement. La capacité innée d'imitation initie un comportement similaire à celui observé passivement. C'est le lien perception-comportement [9]. Prosper Lucas (1808-1885) l'a déjà bien explicité dans sa thèse soutenue le 28 août 1833, présidée par Gabriel Andral (1797-1876) : « cette faculté est même si constamment active qu'on en perd presque la trace, et que la plupart des faits imitatifs s'exécutent sans y penser. Mais du moment que l'on y réfléchit, elle paraît occuper une si large place dans la série des faits individuels ou sociaux, qu'au-delà de certaines limites on ne peut plus voir en elle un accident mais une fonction d'espèce » [21]. Les conséquences sociales potentielles des tendances à l'imitation et au mimétisme naturels peuvent être modulées par l'attention autocentrée. Ainsi des processus inconscients provoquent des processus conscients mais ceux-ci, à leur tour, mettent en mouvement d'autres processus inconscients. Les processus sociaux et psychologiques abstraits utilisés à l'âge adulte, découlent d'un apprentissage très précoce de l'environnement physique. Cet apprentissage construit de solides liens associatifs qui exercent leur influence tout au long de la vie, réduisant l'adaptation comportementale consciente ou élaborée (mettre sa main devant sa bouche pendant le bâillement). La pensée consciente est causale et met souvent en jeu des processus automatiques ; de même, les processus automatiques provoquent et influencent régulièrement des processus de pensée conscients. Ces deux formes fondamentales de traitement de l'information humaine fonctionnent ensemble et, en fait, l'une ne peut pas fonctionner sans le soutien et les « conseils » de l'autre [14].
 
La communication émotionnelle a permis la formation des premiers groupes humains. Le partage des émotions favorise et renforce les liens au sein du groupe, participant à la communication rapide d'informations qui facilitent la coordination des activités du groupe sachant que le contexte social module le mimétisme automatique. Ce contexte, c'est l'évaluation de la situation, de la relation entre individus, des normes du groupe, etc., mettant en jeu des mécanismes cognitifs dits de haut niveau, non automatisés, assujettis à une forme de contrôles inhibiteurs par le cortex pré-frontal [17]. Cette zone du cortex s'est le plus développée au cours de l'Évolution [16]. Une de ses causes est l'augmentation de la taille des groupes d'hominidés qui a entraîné une complexification des relations en leur sein. Les mécanismes de régulation de l'imitation spontanée sont alors primordiaux, devenant un avantage adaptatif majeur, l'avènement du langage parlé le rendant encore plus prégnant.
 
Un groupe social se hiérarchise spontanément, un leader apparaissant en quelques heures. L'aptitude de ce dernier à verbaliser, sa capacité de relation avec chacun des membres du groupe, engendrent une identification de chaque membre du groupe à ce leader. Le mimétisme comportemental s'installe alors automatiquement, source d'économie en travail cognitif de chaque membre, à l'origine du comportement moutonnier (phénomène de la mode également) [1]. Ne dit-on pas « un semblable » pour qualifier autrui ? Si ce leader émet un message simple, répondant d'une façon simplifiée à un problème complexe, l'automatisme comportemental d'imitation est à l'origine d'une agrégation rapide de nouveaux suiveurs, phénomène à l'origine des foules manipulables et manipulées [11]. Mais gardons en mémoire que « des explications existent, elles ont existé de tout temps, parce qu'il y a toujours une solution simple à chaque problème humain, une solution nette plausible et fausse » [28].
 
La réplication du bâillement apparaît donc bien comme une piste adaptée à l'exploration fine des comportements d'imitation involontaire. Une piste encore bien peu empruntée !
 
En conclusion
Le bâillement est un comportement universel dont, paradoxalement, l'étude est négligée alors que chacune de ses facettes ouvrent des voies de compréhension d'états variés mais fondamentaux de la vie individuelle (sommeil/vigilance-attention), et de la vie sociale (réplication/émotion-empathie). Sa disparition sous neuroleptiques prive les psychiatres de son observation mais les antidépresseurs sérotoninergiques sont, eux, à l'origine d'un effet iatrogène devenue la cause la plus fréquente d'excès de bâillements, pouvant monter à plusieurs centaines par jour.
 
 
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