-
- A l'occasion de la sortie, le 7 novembre
2012, du film
« Augustine »
réalisée par Alice Winocour,
avec Vincent Lindon dans le rôle de
Charcot (on l'aurait mieux vu en Georges Gilles
de la Tourette) et Stéphanie Sokolinski
en Augustine, il semble intéressant de
donner une perspective historique, non
romancée, de la maladie dont elle
souffrait en donnant la transcription
complète de l'observation recueillie par
Désiré-Magloire
Bourneville.
-
- Léon Daudet (1867-1942)
dépeint, en 1922, le
célèbre tableau d'André
Brouillet (1857-1904) « Une
leçon clinique à La
Salpêtrière »: « Un
tableau célèbre a
popularisé ces séances de La
Salpêtrière, dont tout Paris
s'entretenait il y a 35 ans et auxquelles
assistaient, mêlés aux
médecins, des écrivains, des
artistes des hommes politiques; car
l'hystérie et les localisations
cérébrales faisaient partie du
programme laïque et républicain
». Brouillet célèbre la
gloire de Jean-Martin
Charcot (1825-1893) mais immortalise aussi
sa plus célèbre patiente
hystérique Marie Wittmann,
surnommée Blanche (1859-1913).
-
- Paul Richer
(1849-1933) explique dans l'introduction de sa
thèse: « Lorsqu'en 1878, j'eus
l'honneur de terminer mon internat sous sa
direction, M. Charcot arrivait à cette
conception de la grand attaque d'hystérie
divisée en quatre périodes,
conception si simple qu'on s'étonne de ne
l'avoir point trouvée depuis longtemps,
et si féconde qu'elle éclaire
l'histoire toute entière de la grande
névrose ». Ces quatre
périodes se succèdent ainsi:
-
- - Phase « épileptoïde
avec tétanisation brusque des muscles de
tout le corps », convulsions
cloniques, enfin résolution ;
- - Phase « des attitudes illogiques
ou contorsions et de grands
mouvements » allant jusqu'à
l'opisthotonos, à laquelle Charcot donna
le nom de clownisme;
- - Phase « des attitudes
passionnelles ou des poses
plastiques » (catalepsie) pendant
laquelle la malade est sujette à
« des hallucinations qui la
ravissent ».
- -Phase finale, « l'attaque est
terminée, la connaissance revenue, mais
en partie seulement et pendant un certain temps
la malade demeure en proie à un
délire ».
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- Blanche Wittmann (1859-1913)
Augustine
Gleizes (1861- ?)
-
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- Relatant la troisième phase, Richer
précise que « Gl... est celle
de nos malades chez laquelle ces poses
plastiques ou attitudes passionnelles ont le
plus de régularité. Elles
retracent principalement deux
événements de son existence. Le
premier, terrible, marque son entrée dans
la vie; elle avait dix ans quand elle en fut
victime. Le second, au contraire, lui cause un
plaisir qu'elle ne cherche pas à
dissimuler ». Gl est Louise Augustine
Gleizes, née le 21 août 1861, une
des hystériques de La
Salpêtrière où elle est
admise le 21 octobre 1875. Moins connue que
Blanche, sa jeunesse, la blancheur de sa peau,
l'expressivité de son visage, la
théâtralité de ses
accès, en font la plus
photographiée par Paul Regnard
(1850-1927); « l'appareil photo
l'aime » dit-on à cette
époque où la technique vient
d'apparaître.
-
- Sa mère la conduit à
L'Hôpital des Enfants Malades à
Paris après 5 mois d'évolution de
crises épileptiques. Après une
amélioration transitoire, la
récidive l'amène devant le Pr.
Charcot qui l'admet dans son service le 21
octobre 1875 alors qu'elle n'a que 14 ans. Son
histoire clinique nous est contée par
Désiré-Magloire Bourneville
(1840-1909) dans le tome 2 de l'Iconographie
Photographique de La Salpêtrière,
paru en 1878:
-
- « Louise Augustine est
entrée à la Salpetrière
(service de M. CHARCOT), le 21 octobre 1875,
à l'âge de 15 ans et demi.
-
- Renseignements fournis par sa mère.
(2 novembre 1875). Père, âgé
de 45 ans, domestique, sobre, sujet à des
céphalalgies; il est en convalescence
d'une pleurésie. [Son père
aurait eu une paralysie. - Aucun autre accident
nerveux dans la famille.]
-
- Mère, 41 ans, domestique, bien
portante; étant jeune, elle a eu des
migraines qui l'obligeaient à se coucher;
elles ont disparu quand elle s'est
mariée. [Père, meulier, mort
de la poitrine; il faisait des excès de
boisson. - Mère, bonne santé. -
Rien chez les autres parents]. Pas de
consanguinité.
-
- suite
observation à lire sur pdf
-
- Regnard nous donne une photographie
d'Augustine, « à l'état
normal », avec un discret sourire,
dans une pose « n'ayant plus rien des
manières de l'enfant, elle a presque
l'air d'une femme faite » comme le
précise Bourneville. Si Blanche
présentait des crises d'une remarquable
régularité comme « une
mécanique de
précision », Augustine montrait
de grande variabilité dans le
déroulement de ses accès. Par
exemple, « une des patientes de notre
service (cf Augustine) affligée
d'hystéro-épilepsie, a
développé une pathologie rare,
méritant qu'elle soit offerte à
votre regard. Elle est par nature instable et
mobile, comme le sexe qu'elle touche
préférentiellement ».
Par cette remarque qui nous paraît
sexiste, Charcot use d'un oxymore pour
décrire Augustine, atteinte
« d'une chorée
rythmique » (Leçon de novembre
1877). Alors que les crises
épileptoïdes d'Augustine sont sans
particularité et cessent par la
compression ovarienne, la période de
« ses attitudes passionnelles » et de
ses hallucinations donne aux photos de
l'Iconographie un cachet quasi érotique
qui ont bâti sa
célébrité. La blancheur de
la chemise, découvrant largement le
décolleté et les cuisses, ajoutent
aux poses corporelles et au sourire, pouvant
donner au lecteur une impression d'être un
voyeur malgré lui.
-
- Augustine-
plaque photo de La Salpêtrière -
Attitude passionnelle - Phase gaie - Gravure par
Paul Richer
-
- Cette pauvre Augustine placée en
nourrice très tôt, puis en pension
religieuse, connaît dès le plus
jeune âge des châtiments corporels.
Victime d'attouchements à 10 ans, elle
est violée à 13. C'est cette
scène première qu'Augustine
rejoue, symbolise pour convertir l'attentat
sexuel. Bien que répétant son
malheur, Charcot y semble insensible en public,
n'apportant son attention qu'aux
symptômes. Sigmund Freud (1856-1939)
rapporte une anecdote dont il fut témoin
et qui, pourtant, témoigne de la parfaite
perspicacité de Charcot quand aux
mécanismes déclencheurs et
à leur spécificité. Charcot
susurre à l'oreille de son
collègue Paul
Brouardel (1837-1906): « mais, dans des
cas pareils, c'est toujours la chose
génitale, toujours... toujours...
toujours... » Et Freud raconte: « Ce
disant il croisa les bras sur sa poitrine et se
mit à sautiller avec sa vivacité
habituelle. Je me rappelle être
resté stupéfait pendant quelques
instants et, revenu à moi, m'être
posé la question: Puisqu'il le sait,
pourquoi ne le dit-il jamais ?...» (Freud,
1923). Il ne l'a jamais dit, parce que sa
volonté de savoir, qui était
volonté d'avoir sous l'oeil quelques
définitives «
régularités plastiques », sa
volonté de savoir fut peut-être
aussi volonté d'évitement, comme
le propose Georges Didi-Huberman.
-
- Il est clair que Charcot, fin observateur,
s'intéressait au corps, à l'image
alors que Freud s'intéressera à la
parole. Pour Augustine, c'est Bourneville qui
écoute avec empathie et affection,
longuement, et transcrit
précisément ses hallucinations,
sans négliger ses rêves,
décrivant en détails tous ses
traumatismes psychiques. L'intérêt
qu'il portait à l'enfance, ses
idées politiques progressistes ne sont
sûrement pas étrangères
à son attitude bienveillante. Bien qu'il
n'élabore pas une explication
détaillée, sa phrase « Le
délire hystérique a trait, en
définitive, aux différents
événements qui ont marqué
la vie de L... » montre qu'il a
parfaitement saisi que les traumatismes de
l'enfance expliquent « la
conversion » qu'est l'hystérie.
Mais notons qu'en 1875, Charcot est encore
à la recherche d'une cause organique,
anatomo-pathologique, à l'hystérie
et le modèle psychogénique de
l'hystérie ne lui apparaîtra que
dix ans plus tard, et 20 ans avant les
écrits de Freud.
-
- Augustine - Léthargie Planche
XIV
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- Bourneville compte 1 296 attaques
d'hystérie en 1877. En décembre
1878, les crises disparaissent sans qu'on sache
pourquoi. Augustine quitte le service le 18
février 1879. Elle continue à
vivre à La Salpêtrière,
employée comme femme de service, gagnant
15 francs par mois, pendant les seize mois
suivants. Bien qu'elle semble rétablie,
Charcot l'appelle périodiquement pour une
démonstration d'hypnotisme. C'est
pourquoi, le tome 3 de l'Iconographie, paru en
1880, contient ses photos, en tablier blanc,
indiquant son statut de soignante, comme
l'illustre la célèbre photo
« en léthargie: contractures
artificielles ». Modèle de
cataplexie, elle devient
« pliable » ou
« arcboutée », tenant
à l'horizontal, ne reposant que sur la
nuque et les tendons d'Achille, de façon
phénoménale à peine
croyable. Comme Blanche, Augustine
apprécie les inhalations d'éther
qui lui provoquent une euphorie avec
pensées érotiques centrées
sur son amoureux dont elle refuse d'indiquer
l'identité à Bourneville. Il la
presse de raconter ces épisodes et en
fait un récit paru dans le tome 3 de
l'Iconographie.
-
- Augustine finit par se rebeller contre son
statut de « vedette » et
s'échappe de La Salpêtrière.
Peu après, on retrouve sa trace dans le
livre des admissions de l'Hôpital de la
Charité où elle reste six jours
pour « un phlegmon du ligament large».
On y lit son adresse: 19 rue Sommerard dans le
Vè arrondissement de Paris. Plus aucune
information n'est disponible après sa
sortie et la date de son décès est
inconnue.
-
- Bien malgré elle, Augustine revit en
1928 dans le célèbre manifeste:
« Le cinquantenaire de
l'hystérie » de Louis Aragon
(1897-1982) et André Breton (1896-1966):
« Nous, surréalistes, tenons
à célébrer ici le
cinquantenaire de l'hystérie, la plus
grande découverte poétique de la
fin du XIXè siècle, et cela au
moment même où le
démembrement du concept de
l'hystérie paraît chose
consommée. Nous qui n'aimons rien tant
que ces jeunes hystériques dont le type
parfait nous est fourni par l'observation
relative à l'aide de la délicieuse
X. L. (Augustine) entrée à la
Salpêtrière dans le service du
docteur Charcot le 21 octobre 1875, à
l'âge de 15 ans et 1/2, comment
serions-nous touchés par la laborieuse
réfutation de troubles organiques dont le
procès ne sera jamais qu'aux yeux des
seuls médecins celui de l'hystérie
? (...) L'hystérie est un état
mental plus ou moins irréductible se
caractérisant par la subversion des
rapports qui s'établissent entre le sujet
et le monde moral duquel il croit pratiquement
relever, en dehors de tout système
délirant. Cet état mental est
fondé sur le besoin d'une
séduction réciproque qui explique
les miracles activement acceptés de la
suggestion médicale (ou
contre-suggestion). L'hystérie n'est pas
un phénomène pathologique il pleut
à tous égards être
considéré comme un moyen
suprême d'expression ».
-
-
- Outre de multiples livres que son cas a
inspirés, Jean-Claude Monod et
Jean-Christophe Valtat ont reconstitué sa
brève histoire dans leur film
« Augustine: quand Charcot exhibait
l'hystérie » sorti en 2003
(avec pour acteurs Maud Forget, François
Chattot, Sébastien Ossard ). (Sans
oublier, l'évocation de Charcot, Blanche
et Augustine dans le film de John Huston,
"Freud, the Secret Passion" en 1962).
-
-
- Références
-
- Aragon L, Breton A. Le cinquantenaire de
l'hystérie (1878-1928). La
Révolution Surréaliste.
1928;(11):20-22.
-
- Bourneville DM, Regnard P. Iconographie
photographique de la Salpêtrière:
service de M. Charcot. Paris. Aux Bureaux du
Progrès Médical. A. Delahaye.
1876-1880. 3 vol.
-
- Breuer von J, Freud S. Studien über
Hysterie. Leipzig. F. Deuticke. 1895.
-
- Charcot JM. De la chorée rythmique
hystérique. Le Progrès
Médical. 9 février
1878;6(58).
-
- Charcot JM. De la chorée rythmique
hystérique. Oeuvres complètes. T1,
14è leçon. p 393. Paris. Aux
Bureaux du Progrès Médical. A.
Delahaye & E. Lecrosnier. 1884.
-
- Charcot JM, Richer P. Description de la
grande attaque hystérique. Le
Progrès Médical.
1879;7(2):18-20.
-
- Didi-Huberman G. Invention de
l'hystérie: Charcot et l'iconographie
photographique de la Salpêtrière.
Paris. Macula. 1984. 304p.
-
- Freud S. Cinq leçons sur la
psychanalyse. Paris. Payot. 1923. 123p.
-
- Hustvedt A. Medical Muses: Hysteria in
Nineteenth-century Paris. London. Paris.
New-York. Bloomsbury. 2011. 372p.
-
- Richer P. Etudes
cliniques sur l'hystéro-épilepsie
ou grande hystérie. Paris. A. Delahaye
& E. Lecrosnier. 1881. 736p.
-
Louise
Augustine
Gleizes (1861-
?)
-
- La
création artistique est par essence
l'image de la liberté et de
l'imagination. Cette liberté
permet-elle de trahir des faits historiques, les
travaux de recherches sur l'hystérie par
Jean-Martin Charcot (1825-1893) à
l'hôpital de La Salpêtrière,
afin de défendre implicitement la cause
féministe ? C'est l'option choisie
par Alice Winocour, pour son premier film
« Augustine », sorti
à Paris le 7 novembre 2012. Augustine
est, en réalité, Louise Augustine
Gleizes, née le 21 août 1861, une
des hystériques de La
Salpêtrière où elle est
admise le 21 octobre 1875, à 14 ans (et
non 19 comme dans le film)......
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- Louise
Augustine Gleizes, une
biographie
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- Louise
Augustine
Gleizes (1861-
?)
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- Artistic
creation is, by its essence, the image of
liberty and imagination. Does this liberty
give the license to betray historical facts
concerning hysteria research conducted by
Jean-Martin Charcot (1825-1893) at La
Salpêtrière Hospital, in order to
implicitly defend the feminist cause? This is
the option chosen by Alice Winocour for her
first film "Augustine", which was released in
Paris on the 7th of November 2012.......
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