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mise à jour du
15 juillet 2009
 
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Correspondance inédite de G. Gilles de la Tourette
avec JM. Charcot et G. Montorgueil
 
Olivier Walusinski & Gregory Duncan
Living his writings :
the example of neurologist Georges Gilles de la Tourette
(version complète pdf)
Living His Writings:
The Example of Neurologist G. Gilles de la Tourette
 Walusinski O, Duncan G. Movement Disorders in press
 
 G. Gilles de la Tourette 1857-1904 in english
G. Gilles de la Tourette interne de JM. Charcot
Chat-logomini
Plusieurs biographies se sont déjà chargées d'éclairer la personnalité et l'oeuvre de Georges Gilles de la Tourette [1,2,3]. Notre propos est de proposer des documents inédits, notamment des courriers échangés, d'une part, par Gilles de la Tourette avec son Maître Jean-Martin Charcot, et d'autre part, avec son ami, le journaliste Georges Montorgueil du journal L'Eclair de Paris.
 
gilles de la tourette
 
Georges Gilles de la Tourette est né le 30 octobre 1857, dans le Poitou, au centre de la France, près de la petite ville de Loudun. Ces lettres lèvent le voile sur des relations amicales ignorées et rendent parfaitement compte du climat de l'époque, du quotidien de Gilles de la Tourette et de Charcot. Elles sont souvent émouvantes par l'intimité dans laquelle elles nous font pénétrer. Trois lettres manuscrites sont adressées par Charcot à Gilles de la Tourette et proviennent du musée d'histoire locale de Loudun (Musée Charbonneau Lassay). À l'inverse, tous les autres courriers sont de la main de Gilles de la Tourette et adressés à Montorgueil. Ils ont été retrouvés à la rubrique Montorgueil aux Archives Nationales (428 AP/2).
 
Les liens unissant Gilles de la Tourette et Charcot.
 
Reçu en 1881 à l'internat, Gilles de la Tourette entre dans le service de Charcot en 1884, alors au faîte de sa carrière neurologique. Il a 59 ans, sa notoriété est mondiale. Il s'intéresse à l'hystérie depuis une dizaine d'années. Il va dès lors concentrer son attention sur ce thème qui, comme l'épilepsie, met sa méthode en échec : une pathologie d'aspect neurologique n'a pas de corrélat lésionnel anatomique appréciable dans le système nerveux. Hors deux articles en anglais paru à New York dans le journal Forum [4,5], il ne publiera plus, après cette date, aucun texte sous sa propre signature, poussant en avant ceux de ses élèves qu'il apprécie le plus. Nous ignorons comment vint à Gilles de la Tourette l'intérêt pour débrouiller les différentes formes de chorée. Dès 1881, il avait traduit, sans le commenter, dans Les Archives de Neurologie, l'article de Beard paru en 1880, dans The Journal of Nervous and Mental Diseases, intitulé « Les sauteurs du Maine ». Charcot ne pouvait pas ignorer ce travail. Bien que nous en ignorions les circonstances exactes, c'est Charcot qui incita Gilles de la Tourette à persévérer dans cette étude : « Nous avons nous-même, sur les conseils de notre maître, M. le professeur Charcot, analysé les travaux des trois précédents auteurs (cf Beard, O'Brien, Hammond) et montré, en juillet 1884, que le Jumping du Maine, La Latah de Malaisie, et le Myriachit observé par les officiers américains en Sibérie n'étaient qu'une seule et même affection. » Gilles de la Tourette rapportera l'observation de la baronne de Dampierre, examinée par Itard en 1825, et revue par Charcot à plusieurs reprises. Y ajoutant sept autres cas, cette matière servira à Gilles de la Tourette pour proposer dans son article, paru en 1885 dans Les Archives de Neurologie, « L'étude sur une affection nerveuse caractérisé par l'incoordination motrice accompagné de l'écholalie et de la coprolalie » auquel il doit d'avoir laissé son nom à la postérité alors qu'il n'était encore qu'interne [6,7].
 
Gilles de la Tourette fut certainement l'un des élèves préférés de Charcot, lui donnant des marques d'affection par ses invitations aux dîners du mardi, en le soutenant moralement, au cours de la rédaction son « Traité de l'hystérie ». Gilles de la Tourette assistera, le 6 août 1893, à l'avant-dernier dîner du mardi soir, à l'issue duquel il lui remettra un des derniers chapitres de son « Traité de l'hystérie » que Charcot devait corriger. Le 14 août 1893, Charcot, accompagné de Debove et Strauss partait se reposer dans La Creuse et devait mourir d'un oedème aigu du poumon, le 16 août 1893, près du lac des Settons.
 
Trois lettres inédites de Charcot à Gilles de la Tourette
 
Nous avons retrouvé trois correspondances manuscrites de Charcot à Gilles de la Tourette.
 
La première a été gardée par Gilles de la Tourette. II y mit cette annotation : « Monsieur Charcot partant pour aller à Nice ou à Cannes ou à Marseille pour une consultation à Don Pedro d'Alcantara, empereur du Brésil.
 
« Dimanche
Mon cher Gilles de la Tourette,
Je suis obligé de partir ce soir même. Je ne serai pas de retour pour la leçon du mardi matin. Renvoyez les malades à vendredi, je serai revenu pour ce jour là et comme je n'avais pas eu le temps de m'être préparé, je montrerai la dormeuse. En mon absence, faites la consultation mardi devant le public et si vous rencontrez de bons malades, renvoyez les à vendredi. Je les interrogerai de nouveau. Avec la dormeuse, cela suffira pour la leçon. Dites au public que j'ai été appelé subitement et qu'à mon grand regret, j'ai été obligé de partir.
Très à vous, Charcot le 27 novembre 1887.
lettre charcot
La deuxième (sans date)
 
Mon Cher Gilles de la Tourette,
Je suis fort inquiet. Bernheim ne savait pas et j'ai les épreuves de votre épilogue. Avait-il changé d'idée et que faire alors il ne faudrait plus parler du temps ? Ne pourriez-vous pas savoir auprès de Taleur ce qu'il en est?
A vous Charcot
Mardi soir.
bernheim chatcot
 
La troisième lettre est datée du 29 décembre 1890 :
 
Mon cher Gilles de la Tourette,
Vous avez publiez le 17 décembre 1889 dans le progrès médical une note « hystérie et Syphilis » et annoncé que l'observation complète serait publiée dans le Morgagni de Milan. Avez-vous ce numéro de Morgagni ? Si oui vous seriez bien aimable de me l'envoyer aujourd'hui même, j'en aurais besoin pour la leçon de demain.
A vous - Charcot.
 
Ces correspondances montrent une familiarité telle que Charcot ne l'exprimait pas en public, bien différente de la réputation d'autorité intransigeante qui « s'exerçait vis-à-vis de ces élèves dont aucun n'aurait osé la braver » [1]. Dans la première, Charcot est obligé de partir pour une consultation urgente auprès de l'Empereur du Brésil [8]. Médecin des grands du monde de l'époque, il ne craint pas de laisser, confiant, le contrôle de son service et de sa célèbre consultation publique du mardi, à son chef de clinique. Exclusif et rigoureux, il veut réinterroger les malades, dignes d'un intérêt pédagogique, que Gilles de la Tourette aurait vus à la consultation. Dans la seconde lettre, on perçoit un homme plus empathique qu'à l'ordinaire, mais inquiet, laissant percevoir, de façon inaccoutumée, le doute. Malheureusement non datée, on comprend qu'il s'agit d'un épisode de la querelle qui opposa l'école de Nancy à celle de la Salpêtrière à l'occasion du procès Eyraud - Bompard. Au cours de l'audience de ce procès célèbre, les experts nommés, Brouardel et Ballet, avaient démontré l'impossibilité que la complice du meurtrier ait pu agir en état d'hypnose, comme Liégeois, représentant l'école de Nancy et de Bernheim, l'avait soutenu à la demande de la défense. Gilles de la Tourette avait dû soumettre à Charcot les épreuves de son article, paru dans Le Progrès Médical en 1891. Mais entre l'écriture de cet article, glorifiant la position de La Salpêtrière, et sa publication s'écoula quelques semaines. Dans cet intervalle, Bernheim avait publié une tribune dans le journal "Le Temps" justifiant son point de vue sur la suggestion et la criminalité. Par la présence d'un renvoi, au bas de la page 93 de l'article du Progrès, on s'aperçoit qu'après cet échange avec Charcot, Gilles de la Tourette a ajouté : « Dans son article du Temps (29 janvier 1891), paru depuis la préparation du présent Bulletin, M. Bernheim, appréciant les opinions de la Salpêtrière en matière d'hypnotisme, dit un peu dédaigneusement : "C'est un ensemble de faits expérimentaux plutôt qu'une doctrine, car les faits sont exposés sans interprétation théorique". [9,10,11]
 
Enfin, la dernière lettre, montre l'aspect de rapports très professionnels entre les deux hommes. Elle illustre la méthode utilisée par Charcot pour préparer ses Leçons du mardi, puis ses écrits, en cinq étapes. Cette lettre illustre la première que Gasser énumère ainsi:
1) - Rassemblement d'une documentation diverse : notes bibliographiques, notes personnelles, dessins, schémas.
2) - Rédaction d'un manuscrit qui sera lu au cours.
3) - Ce manuscrit est à nouveau repris pour une publication en revue par ses élèves Guinon, Bourneville, Gilles de la Tourette, etc.
4) - Un grand nombre de ces articles seront rassemblés sous forme de livres.
5)- Ces ouvrages feront enfin l'objet d'une dernière version dans les « oeuvres complètes ». [12]
 
tourette
 
Échanges épistolaires inédits entre Gilles de la Tourette et le journaliste Montorgueil.
 
L'intimité
Le journaliste Georges Montorgueil, du journal L'Eclair de Paris, a le même âge que Gilles de la Tourette et semble avoir fait sa connaissance en 1892, sans que nous ayons été capables d'en éclaircir les modalités. Ils ne cesseront de correspondre jusqu'à peu avant le décès de Gilles de la Tourette en 1904. Gilles de la Tourette lui parle souvent de son travail, des événements familiaux importants mais sans jamais faire d'allusions à la situation politique à Paris.
 
Par exemple, cette lettre du 22 juin 1894
« Mon cher Ami,
Vous serez bien aimable de me faire passer cette petite note dans votre bulletin bibliographique du lundi. Je vous écris surtout pour vous demander de ne pas oublier notre réclamation au sujet d'un abri aux Tuileries pour nos enfants; En cas de pluie rien alors que partout aux Champs Elysées, au Luxembourg il y a des abris .... Merci d'avance pour les petits,
Affectueusement à vous, Gilles de la Tourette. »
 
Ami d'internat et son biographe, Paul Legendre le décrit comme "Très ardent mais peu patient" [1]. Dans une lettre à Montorgueil datée du 4 mai 1893, Gilles de la Tourette venant de passer le concours de médecin des hôpitaux s'épand prématurément :
 
« Cher Monsieur et ami,
Le concours de médecin des hôpitaux vient de se terminer pour moi. J'avais 4 points d'avance. J'ai passé hier dans la première séance de la dernière épreuve et je suis nommé. J'ai grand plaisir à vous le faire savoir.
Hier soir en déambulant un peu sur les boulevards, j'ai rencontré Alphonse Humbert (membre du conseil Municipal), notre ami et deux de vos collaborateurs. Je leur ai annoncé toute chaude la bonne nouvelle. Immédiatement ils m'ont dit: « Nous allons mettre ça dans L'Eclair ».
 
C'était très gentil mais j'ai dû insister pour décliner une offre aussi aimable. Le concours ne sera officiellement terminé que dimanche ou lundi et d'ici là personne ne doit rien savoir. Si donc Humbert ou un autre vous annonçait la nouvelle prière de ne pas vous aussi vouloir tout de suite me faire plaisir. Aussitôt ce concours fini je vous informerai par courrier.
Quel drôle de monde que celui des médecins et que de réticences. C'est comme cela et si l'on veut les bénéfices de cette profession, il faut en subir les inconvénients. Je suis très heureux car depuis 10 ans, j'étais à la lâche, aujourd'hui je suis libre et vais commencer par bosser le deuxième volume de mon traité de l'hystérie pour vous l'offrir.
Je vous serre bien cordialement la main,
Gilles de la Tourette.
 
PS: Si malgré ma demande, mais le fait ne se produira pas, un entrefilet passait prière je vous en prie de le biffer. Cela pourrait m'être très préjudiciable. »
 
Gilles de la Tourette a manifestement bénéficié d'indiscrétions quant aux résultats du concours. Pour ne pas courir quelques déconvenues, il eût été bien préférable que Gilles de la Tourette ne dise rien avant la proclamation officielle des résultats, surtout à des journalistes ! Une fois rentré chez lui, le doute l'assaille, il hésite. Les journalistes vont-ils garder le silence ? Pour s'en assurer il écrit à son ami Montorgueil pour qu'il veille. Son post-scriptum y revient avec insistance; son inquiétude est palpable, conscient qu'il est d'avoir commis une bévue.
 
Gilles de la Tourette connaîtra une année 1893 dramatique [1,2,3]. Avant de perdre son maître en août, d'être victime d'une tentative d'assassinat en décembre, son fils Jean décède, le 12 juillet 1893, à l'âge de 5 ans d'une méningite. Il écrit, peu après, à son ami Montorgueil:
« Cher Monsieur et Ami,
Je reste bien fatigué de mon douloureux pèlerinage à Loudun .... La vie n'est pas gaie quand vos espérances sont brisées; de bonnes amitiés sont seules un peu consolatrices, Bien cordialement à vous, Gilles de la Tourette ».
 
Le 6 décembre 1893, Rose Kamper se présente au domicile de Gilles de la Tourette afin de réclamer de l'argent, se disant victime d'expériences d'hypnotisme subies à La Salpêtrière. Après avoir refusé, il se retourne ; aussitôt, elle tire sur lui trois coups de feu qui le touche à la nuque, assez superficiellement [10,11]. Dès la fin des soins qu'il reçoit des mains du chirurgien Delbet, son premier geste est d'écrire d'une main mal assurée ce bref mot à Montorgueil :
« Je serai heureux de vous voir aujourd'hui. La balle est enlevée. Ca va mieux, mieux. Cordialement. Gilles de la Tourette.
Quelle drôle d'histoire ».
 
attentat  gilles de la tourette
 
Autre preuve de cette intimité, le soir même du décès de Gilles de la Tourette, Madame Gilles de la Tourette écrira à Montorgueil pour lui faire part de la triste nouvelle :
 
« Lausanne le 22 mai Villa Gai Coteau
Dimanche soir
Cher Monsieur,
Je ne veux pas que vous appreniez par des voix étrangères que mon pauvre mari a cessé de vivre ce matin. Vous télégraphier était bien bref car je voulais demander un service à votre amitié toujours si fidèle pour lui. Je désirerais que le silence se fasse autour de cette fin si triste et si peu méritée. Mais si vous pensiez que la chose soit impossible, voudriez-vous bien dire qu'à la suite d'une longue maladie occasionnée par le surmenage et la fatigue, maladie qui avait déterminé un changement d'air et une installation avec sa famille en Suisse, mon pauvre mari a succombé d'une attaque d'apoplexie qui a duré 26 heures. Ceci est d'ailleurs l'exacte vérité.
Merci, je suis brisée de fatigue et surtout de douleur. Je vous envoie tous mes souvenirs les meilleurs. Madame Gilles de la Tourette. »
 
La vie professionnelle
Au retour de son service militaire, Montorgueil sera d'abord chansonnier avant d'être journaliste. Après avoir été rédacteur en chef du « Réveil lyonnais », il montra à Paris pour tenir la rubrique « L'actualité » au quotidien l'Eclair, faisant de lui l'échotier attitré des faits de société qu'il commentera toujours avec bagout. L'Eclair du 14 décembre 1892 le présente ainsi: « Il est strictement exact de dire que Monsieur Montorgueil a lui-même, sans rien devoir à aucune école, ni à aucun maître, fait son éducation de penseur, d'écrivain et de journaliste ».
 
Preuve de l'amitié complice unissant Gilles de la Tourette et Montorgueuil, on compte, dans leur correspondance, plus d'une dizaine d'invitations écrites à des cérémonies, conférences, divers dîners (par exemple avec Barthou ministre de l'intérieur et Picard, commissaire de l'exposition Universelle de 1900) sans compter les rencontres informelles chez Montorgueil.
 
On imagine combien Montorgueil était friand de nouvelles et d'informations issues du célèbre service de Charcot à La Salpètrière. Mais Gilles de la Tourette sût aussi user de, plus que manipuler, Montorgueil afin de faire paraître dans l'Eclair des informations diverses et variées, telles l'annonce d'une conférence, une anecdote, un tra
 
vail de recherche, un cours à la Salpêtrière. Gilles de la Tourette organisera même des campagnes de presse acharnées pour des causes lui tenant à coeur comme celle de la défense du Docteur Lafitte en 1894, accusé à tort d'avortement illégal [13], ou de la réforme de l'agrégation de médecine en 1895 :
 
« Sans date - Mon cher ami,
Je vous envoie un nouvel article du progrès médical signé Monsieur Baudouin .... en faveur de notre malheureux confrère le Docteur Lafitte, veuf père de cinq enfants. Je ne le connais pas je n'en ai jamais entendu parler, mais il est innocent. Je parle humainement et non pour soutenir ma corporation. Vous savez combien je vis en dehors des médecins. Faites quelque chose pour lui. »
 
Janvier 1895:
« Mon cher ami,
Merci d'avoir inséré tout l'article. La campagne est énorme. J'ai lu trois journaux ce matin l'éclair, le Journal, le Matin. Tous les trois renferment des articles condamnant la réforme qu'est la négation de toute démocratie et la perte de toute science.
Merci encore et cordialement à vous, Gilles de la Tourette. »
 
Cette autre lettre, après le procès Eyraud-Bompard, cité ci-dessus [10]:
14 janvier 1893
« Mon cher Monsieur,
Je ne sais pas comment vous vous y prenez pour mousser si bien vos articles et si exactement avec aussi peu de renseignements. Je vais vous en signaler un autre : je voulais le faire pour ma chronique scientifique de la Revue Hebdomadaire mais je n'ai pas le temps en ce moment et j'ai peur qu'il passe d'actualité....
Peut-on endormir quelqu'un malgré lui ? Réponse: non. Tout ce que l'on dit est de la sottise. Pouvons-nous vous convaincre ? Je vous prie de me faire l'amitié de venir dîner avec nous vendredi 20 janvier à 7 h 30 (sans cérémonie). Vous trouverez entre autres mes amis Cravard et Lembert qui viennent de faire un traité de l'anesthésie chirurgicale et obstétricale. Je compléterai la chose en vous disant « oralement » dans quelles conditions on peut endormir quelqu'un malgré lui (ou malgré soi. Je suis en brouille avec l'académie). Et nous boirons à la santé de Théophraste Renaudot qui vous doit une si belle chandelle. C'est entendu n'est-ce pas?
Cordialement. Gilles de la Tourette. »
 
La Revue Hebdomadaire du 1er décembre 1892 publia un texte de Charcot intitulé « La Foi qui guérit », « véritable manifeste anticlérical ». La foi qui guérit était un petit brûlot contre Lourdes et l'enseignement de l'Eglise en matière de miracles et de foi. Charcot, à la suite de cette publication, sera couvert d'insultes dans de nombreux journaux catholiques. Le nom de Lourdes n'apparaît pas une seule fois dans le texte, mais l'allusion à « un récent voyage d'un littérateur célèbre à un sanctuaire religieux » fait que personne ne pouvait être leurré car Emile Zola s'y était rendu en août 1892, voyage abondamment commenté par la presse. Charcot y niait le surnaturel. Pour lui, une guérison miraculeuse était une « guérison opérée en dehors des moyens dont la médecine curative semble disposer d'ordinaire ». Le miracle rentrait dans « une catégorie d'actes qui n'échappent pas à l'ordre naturel des choses » mais concevait que certains faits seraient, à l'avenir, explicables : « La science finit par avoir le dernier mot en toutes choses ». « La Foi qui guérit » était pour Charcot une opération psychique caractérisée par un état d'intense suggestion culminant « en une phase d'exaltation ». Il ne méprisait pas ces dispositions mentales ni n'ignorait ses possibilités thérapeutiques. Il cherchait même à en connaître la genèse. La "Faith healing" était pour lui l'idéal à atteindre car elle réussissait là où la médecine, pour le moment, échouait et s'il ne pouvait l'inspirer lui-même, il n'hésitait pas à laisser partir un malade en pèlerinage. Pour Charcot, la finalité d'un miracle était la guérison physique, c'est à dire la disparition des paralysies, des contractures, etc... en opposition avec la position de l'Eglise qui attribuait au miracle un signe anticipatoire d'un « salut surnaturel ». La guérison physique n'était donc pas, pour elle, une fin en elle-même. « Bref chez Charcot, la Foi-confiance guérit. Dans les Evangiles et pour l'Eglise, la foi, vertu théologale, sauve » dira Lalouette [14,15,16].
 
A ce sujet, le 30 octobre 1892, Gilles de la Tourette écrit à Montorgueil la lettre suivante:
 
« Cher Monsieur,
En rentrant chez moi, je trouve une lettre d'Angleterre. L'article était parait-il arrivé trop tard à Londres, la traduction n'a pu en être faite à temps. Il paraîtra donc le premier décembre et non le premier novembre. Vous pouvez en faire ce qu'il vous plaira à partir du 3 décembre au matin, la Revue Hebdomadaire paraissant le vendredi et le 3 étant un samedi. C'est partie remise. Comme il serait désastreux pour moi (pour les raisons que je vous ai exposées) que vous ne soyez pas informé à temps. Je joins (vous me le permettez afin d'éviter un retard) une carte postale. Signez seulement et envoyez par courrier, sans cela j'irai à L'Eclair vous voir. Excusez ce contre-temps involontaire ; fin novembre, j'irai vous serrer la main ou vous écrire. Mettez donc l'article de côté.
Cordialement votre dévoué, Gilles, de la Tourette.
 
Or, dès le dimanche 4 décembre 1892, L'Eclair publiait un article à sensation : « Les miracles de Lourdes jugés par Monsieur Charcot» : La « faith-healing » (la Foi qui guérit). Montorgueil écrit:
« Les anglais ont demandé à Monsieur Charcot une consultation sur la faith healing, la « Foi qui guérit ». C'est la visite de Monsieur Zola à la piscine de Lourdes qui leur a donné l'idée. Ils ont voulu savoir ce que l'éminent praticien de la Salpêtrière pensait des guérisons qui se constatent dans les sanctuaires. Il avait aussi à répondre à la fois aux mécréants qui nient les guérisons, et à ceux qui les proclament, les attribuent au miracle. Lourdes et la Salpêtrière sont deux centres identiques quant aux phénomènes pathologiques dont on y peut être les témoins. C'est le New Review qui a eu la primeur de cette communication dont la Revue Hebdomadaire donne aujourd'hui la traduction. Sa conclusion est celle-ci : la piscine guérit, le sanctuaire guérit, la foi guérit. Mais la foi guérit les maux d'origine hystérique que la suggestion, qui n'est pas autre chose que la foi sans l'appareil religieux, guérit aussi ».
 
C'est la revue anglaise la « New Review » qui devait publier en premier le texte de Charcot qui ne paraîtra, en réalité, sous le titre Faith-Cure qu'en janvier 1893 alors qu'une version française était parue dans la Revue hebdomadaire du premier décembre 1892. Pourquoi ? Nous savons grâce à la lettre de Gilles de la Tourette, qu'en fait « l'article était arrivé trop tard à Londres » et que donc la « traduction n'a pu en être faite à temps ». La lettre de Gilles de la Tourette à Montorgueil confirme aussi que l'article orignal avait été écrit en français par Charcot. En parlant de la faith-healing ou Foi qui guérit Charcot concluait: « En résumé je crois que pour qu'elle trouve à s'exercer, il faut à la faith-healing des sujets spéciaux et des maladies spéciales de celles qui sont justiciables de l'influence que l'esprit possède sur le corps. Les hystériques présentent un état mental éminemment favorable au développement de la faith-healing, car ils sont suggestibles au premier chef, soit que la suggestion s'exerce par des influences extérieures, soit surtout qu'ils puissent en eux-mêmes les éléments si puissants de l 'autosuggestion. Chez ces individus, hommes ou femmes, l'influence de l'esprit sur le corps est assez efficace pour produire la guérison de maladies que l'ignorance, où on était il n y a pas longtemps encore, de leur nature véritable faisait considérer comme incurables ». Charcot, qui n'a plus que quelques mois à vivre, se range aux vues de l'école de Nancy en reconnaissant que la suggestion est un puissant moyen de guérison, que c'est la suggestion qui oeuvre dans l'action miraculeuse des thaumaturges. Gilles de la Tourette parle, dans La Nouvelle Iconographie de la Salpêtrière de 1893 (1893;6:246), d'un véritable testament philosophique de Charcot, sensible aux arguments déjà développés par Babinski à cette époque [14,15,16].
 
Gilles de la Tourette publia plusieurs articles sur Mesmer notamment dans la Nouvelle Iconographie de la Salpêtrière (1889). Il s'est toujours battu contre le magnétisme et son exploitation de la crédulité publique. Dans ses articles, il ironisait sur les techniques du magnétisme et les « attouchements » que l'on pratiquait, rapportait les satires de représentations burlesques faites sur Mesmer et sa théorie, ainsi qu'une pièce de théâtre « les Docteurs modernes » qui ridiculisait Mesmer [17]. Il écrivit à son ami journaliste Montorgueil à propos de Mesmer :
 
« Mon cher ami
Merci d'avance de vos intentions toujours excellentes. J'avais écrit ma conférence car elle doit paraître dans la revue internationale, c'était déjà cela de fait mais bien entendu je ne l'ai pas lu. Je vous l'envoie telle que avec la plupart des planches que j'ai projetées. Si vous faites quelque chose vous le ferez certainement ce soir. Demain donc je viendrai dans l'après-midi reprendre mon manuscrit que vous aurez bien voulu réintégrer dans une enveloppe à mon nom remise au garçon de bureau. En deux mots, j'ai essayé de faire revivre Mesmer de son arrivée à Paris 1778 à son départ 1785, et je l'ai suivi à l'aide des caricatures et des allégories satyriques de l'époque. J'ai montré que cet allemand qui se disait un philanthrope était un coquin éhonté qui en 6 ans emporta de Paris une somme énorme pour l'époque, après avoir détraqué toute une population. Que s'il avait si bien réussi après avoir échoué piteusement à Vienne, c'est qu'il était venu à Paris, terre classique du merveilleux, avec ceci en plus qu'à la veille de la révolution tous les esprits vibraient de ce que j'ai appelé « le frisson nerveux qui prélude toutes les révolutions ». J'ai montré aussi que Bailly le maire de Paris, ne s'était pas laissé prendre aux remarques et qu'en particulier, Bailly, avec 100 ans d'avance, a merveilleusement montré l'aggravation des crises hystériques sous l'influence des pratiques magnétiques et indiqué le rôle de l'hérédité...
Comme réunion, on a refusé du monde ....
Dans l'assistance Madame Jules Ferry, Monsieur Risler, Jean Charcot, etc... II ne manquait que vous, mais ce n'était pas votre faute. Je ne me relis pas je me sauve à une consultation. Affectueusement, Gilles de la Tourette ».
 
Gilles de la Tourette, tout comme Charcot, eu comme attitude constante d'alerter l'opinion sur les dangers de l'hypnotisme, pas tant du danger, soi-disant social, de crimes suggérés, mais de l'utilisation thérapeutique néfaste de l'hypnotisme. Sans doute informé par lui de ce projet d'entretien, il prévient Montorgueil avant qu'il interroge Bernhneim à Nancy en novembre 1897 :
 
« Mon cher Ami
Un dernier point. En déclarant qu'il n'y a pas d'hypnotisme, c'est à dire pas de phénomène pathologique rien qu'un fait naturel, on éloigne ainsi tous les dangers qui pourraient être inhérents aux pratiques hypnotiques. Les clients viennent sans crainte et ils sont nombreux. Mais nous soutenons, nous, au contraire que ces accidents sont nombreux et que les pratiques hypnotiques inconsidérées sont dangereuses et que c'est (mot illisible) qu'il faut mener une grande prudence. D'où éloignement des clients.
Tout est là.
Cela vous ne pouvez le dire, mais vous pouvez renvoyer Monsieur Bernheim au chapitre de mon livre où sont exposés les accidents hypnotiques, les dangers de l'hypnotisme rédigés sur des observations empruntées à de nombreux auteurs.
A vous affectueusement. Gilles de la Tourette. »
 
La présentation de ces lettres inédites n'est pas exhaustive mais reflète bien les évènements du quotidien de Gilles de la Tourette, de ses relations avec son maître et avec son ami journaliste. Ce fond documentaire comprend également des textes de Gilles de la Tourette, consacrés à l'hommage rendu à Mlle Bottard, surveillante pendant plus de 50 ans du service de La Salpêtrière, et le dossier qu'il avait commencé à rédiger, en 1901, pour postuler à la chaire d'histoire de la médecine, laissée vacante après la démission de Brissaud mais jamais achevé. Ils témoignent du début de la démence, liée à la paralysie générale, qui devait emporter Gilles de la Tourette en 1904. Plus poignantes encore que les lettres ici rapportées, on y lit toutes les procédures judiciaires successives conduisant à son interdiction d'exercer, les mesures de tutelles prises, des témoignages familiaux et des lettres de Jean_Baptiste Charcot et d'Edouard Brissaud sur les derniers mois si douloureux passés en Suisse avant d'y mourir le 26 mai 1904 [18]. Elles feront l'objet d'une deuxième partie.
 
gilles e la tourette
En 1900, G. Gilles de la Tourette fut médecin chef de l'Exposition Universelle à Paris
Bibliographie
 
1. Legendre P. Gilles de la Tourette 1857 - 1904. Bulletins et Mémoires de la Société Médicale des Hôpitaux de Paris. 1905;é21(3):1298-1311.
 
2. Lees AJ. Georges Gilles de la Tourette, the man and his times. Rev Neurol (Pais). 1986;142(11):808-816.
 
3. Guilly P. Gilles de la Tourette. in Historical Aspects of Neurosciences, edited by F. Clifford Rose and W.F. Bynum. Raven Press, New York. 1982:397-413.
 
4. Charcot JM. Magnetism and Hypnotism. Forum of New York. 1889;8:566-577.
 
5. Charcot JM. Hypnotism and Crime. Forum of New York. 1890;9:159-168.
 
6. Gilles de la Tourette G. Jumping, Latah, Myriachit. Arch. Neurol (Paris). 1884;8:68-74.
 
7. Gilles de la Tourette. Etude sur une affection nerveuse caractérisée par de l'incoordination motrice accompagnée de l'écholalie et de la coprolalie. Arch Neurol (Paris). 1885;9:19-42 et 158-200.
 
8. Gelfand T. Charcot, médecin international. Rev Neurol (Paris). 1994;150(8-9):517-523.
 
9. Gilles de la Tourette G. L'épilogue d'un procès célèbre (affaire Eyraud-Bompard). Progrès Médical. Lecrosnier et Babé Ed. Paris. 1891. 16p.
 
10. Bogousslavsky J, Walusinski O. Criminal Hypnotism at the Belle Epoque: The path traced by Jean-Martin Charcot and Georges Gilles de la Tourette. Schweizer Archiv für Neurologie und Psychiatrie. 2009. in press.
 
11. Guinon G. Attentat contre le Docteur Gilles de la Tourette. Le Progrès Médical. 1893;2(18):446.
 
12. Goetz CG, Bonduelle M, Gelfand T. Charcot : Constructing Neurology. Oxford university Press. 1995.
 
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La maladie de Gilles de la Tourette
GE Gilles de la Tourette La maladie des tics convulsifs (pdf)
Contribution à l'étude des bâillements hystériques Nouvelle Iconographie de La Salpêtrière1890
Traité clinique et thérapeutique de l'hystérie d'après l'enseignement de La Salpêtrière1895
Gilles de la Tourette par P. Legendre pdf
Attentat contre Gilles de la Tourette 07/12/1893
La nécrologie La Presse Médicale 4 juin 1904
La nécrologie Nouvelle Iconographie de la Salpêtrière 1904
The forgotten face of Gilles de la Tourette: practitioner, expert, and victim of criminal hypnotism at the Belle Époque Bogousslavsky J Walusinski O
Criminal hypnotism at the Belle Époque : The path traced by Jean-Martin Charcot and Georges Gilles de la Tourette Bogousslavsky J Walusinski O Veyrunes D
Correspondance inédite de G. Gilles de la Tourette, sa maladie fatale Walusinski O. Duncan G
Correspondance inédite de G. Gilles de la Tourette avec JM. Charcot et G. Montorgueil Walusinski O. Duncan G
Vivre ses écrits, l'exemple de G. Gilles de la Tourette Walusinski O. Duncan G
G. Gilles de la Tourette 1857-1904 in english
L'état mental de Froufrou G. Gilles de la Tourette1892
 
The forgotten G. Gilles de la Tourette : practinionner, expert, and victim of criminal hypnotism
Bogousslavsky J, Walusinski O
Neurology submitted and refused
 
Criminal hypnotism at the Belle Epoque : the path traced by JM Charcot and G. Gilles de la Tourette
Bogousslavsky J, Walusinski O, Veyrunes D
European Neurology 2009;62(4):193-199