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5 septembre 2010
 
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Vivre ses écrits, l'exemple du neurologue
G. Gilles de la Tourette
 
Olivier Walusinski & Gregory Duncan
 
Living his writings :
the example of neurologist Georges Gilles de la Tourette
(version complète pdf)
Living His Writings:
The Example of Neurologist G. Gilles de la Tourette
 Walusinski O, Duncan G. Movement Disorders in press
 
G. Gilles de la Tourette 1857-1904 in english  
G. Gilles de la Tourette interne de JM. Charcot
Chat-logomini
Gilles de la Tourette (1857-1904) était son nom, Georges Albert Edouard Brutus, ses prénoms. Seul éponyme recensé dans Le Manuel Diagnostique et Statistique des Troubles Mentaux américain (DSM III et DSM IV), cet honneur historique se paie d'une abréviation malheureuse "Tourette's disorder" [1]. Pourtant, il est probable qu'en se nommant Dupont ou Martin, la pathologie qu'il a décrite n'aurait pas des attributs éponymiques. Il faut d'emblée noter que ce nom n'est devenu célèbre que près de 70 ans après sa mort grâce aux travaux épidémiologiques de AK. et E. Shapiro, aux USA [2]. C'est eux qui ont rapporté, en 1978, cette parole de malade: "quel joli nom pour une maladie aussi horrible !".
 
gilles de la tourette
interne de JM. Charcot en 1884
  © Extrait de l'Album de l'internat de La Salpêtrière conservé à la Bibliothèque Charcot à l'hôpital de la Salpêtrière
(Université Pierre et Marie Curie, Paris)  
 
Nous ignorons comment vint à Gilles de la Tourette l'intérêt pour débrouiller les différentes formes de chorée. Dès 1881, l'année de son admission à l'internat, il avait traduit, sans le commenter, dans Les Archives de Neurologie, l'article de Beard paru en 1880, dans The Journal of Nervous and Mental Diseases, intitulé « Les sauteurs du Maine » [3]. Charcot ne pouvait pas ignorer ce travail. Bien que nous en ignorions les circonstances exactes, c'est Charcot qui incita Gilles de la Tourette à persévérer dans cette étude : « Nous avons nous-même, sur les conseils de notre maître, M. le professeur Charcot, analysé les travaux des trois précédents auteurs (cf Beard, O'Brien, Hammond) et montré, en juillet 1884, que le Jumping du Maine, La Latah de Malaisie, et le Myriachit observé par les officiers américains en Sibérie n'étaient qu'une seule et même affection » [4]. Dans sa description princeps, qui rend son beau nom encore universellement célèbre, G. Gilles de la Tourette rapporte l'observation de la baronne de Dampierre, examinée par Itard en 1825, et revue par Charcot à plusieurs reprises. Y ajoutant sept autres cas, cette matière servira à Gilles de la Tourette pour proposer dans son article, paru en 1885 dans Les Archives de Neurologie, « L'étude sur une affection nerveuse caractérisé par l'incoordination motrice accompagné d'écholalie et de coprolalie », alors qu'il n'était encore qu'interne et ne soutint sa thèse de doctorat en médecine qu'en 1886 [5]. Hors un article, paru dans La Semaine Médicale en 1899, relatant un nouveau cas, présenté sous la forme, en vogue à l'époque, d'une consultation, Gilles de la Tourette ne se consacra plus jamais à "la maladie des tics convulsifs" [6]. C'est donc un travail de jeunesse qui lui a assuré la célébrité pour la postérité.
 
Ce signe de précocité marque sa biographie que nous souhaitons éclairer d'un angle nouveau, ayant l'ambition de montrer l'intrication qui existe entre sa vie personnelle et professionnelle, entre ses activités et ses écrits; en résumé, comment il a eu la vie de ses écrits.
 
Le journalisme
 
Dès son adolescence, Gilles de la Tourette s'est intéressé à l'histoire. Sa curiosité le porta à étudier la vie de Théophraste Renaudot (1586-1653), originaire de la ville de Loudun, toute proche de son propre lieu de naissance à Saint-Gervais en Poitou. Cet illustre compatriote, lui-même médecin, accompagna Richelieu à Paris. Important l'institution des "monts de piété" en France, il est également l'instigateur des consultations charitables et gratuites dans un but humanitaire, des bureaux de placement, ancêtre des agences pour l'emploi. Gilles de la Tourette, positiviste et progressiste convaincu, ne pouvait qu'être fasciné par le personnage. Le 30 mai 1631, Renaudot lançait sa célèbre Gazette, premier quotidien français, organe de propagande au service de Richelieu, qui lui accorda en 1635 le monopole de la presse, au détriment de ses concurrents parisiens. Gilles de la Tourette, encore interne, lui consacrera une biographie parue en 1884 [7]. Comment ne pas voir là, la fascination pour l'écrit qui rendit Gilles de la Tourette si prolixe. Car, en dehors de ses publications connues sur l'hypnose et divers sujets médicaux, Gilles de la Tourette utilisa la presse grand public pour diffuser les travaux de l'Ecole de La Salpêtrière. Sous le pseudonyme de Paracelse, il rédigea, en temps que chroniqueur scientifique, à partir de 1892, des commentaires sur la folie et sa représentation au théatre ou encore des crimes passionnels : l'Etat mental de Froufrou [8], La folie de la Reine Juana [9], A propos du procès Cauvin : l'état mental de Marie Michel [10], L'état mental du feu Ravachol [11], L'épilogue de l'affaire Eyraud - Bompard [12].
 
C'est en 1882 qu'il se lit d'une amitié profonde et durable avec un journaliste, Georges Montorgueil, né comme lui en 1857, et qui tient la rubrique actualité dans le journal «L'Eclair» [13]. S'inspirant de Renaudot, Gilles de la Tourette fera publier par son ami non seulement des actualités médicales issues des travaux de La Salpêtrière dont il assure ainsi la notoriété, mais aussi des notes de vie quotidienne (« lettre du 22 juin 1894 : Je vous écris surtout pour vous demander de ne pas oublier notre réclamation au sujet d'un abri aux Tuilleries pour nos enfants; en cas de pluie rien alors que partout aux Champs Elysées, au Luxembourg, il y a des abris... Merci d'avance pour les petits. Affectueusement à vous. GdT »).
 
Autre exemple, en 1894, Gilles de la Tourette se passionne pour la défense du Dr Lafitte, accusée d'avoir aidé à un avortement. D'un côté, il sensibilise le corps médical en publiant un article dans le Progrès Médical de son ami Bourneville, de l'autre, il fournit l'argumentaire dont va se servir Montorgueil pour orchestrer une campagne de presse [14]. Ainsi, le 28 août 1894, l'affaire fait la une de L'Eclair sur trois colonnes. Dans une longue lettre adressé au rédacteur du journal Le Temps, il prend la défense du Docteur Lafitte : « Monsieur le rédacteur en chef, Permettez-moi de protester comme délégué de l'association de la presse médicale contre la façon dont votre collaborateur dénature les sentiments qui nous ont guidés dans les démarches que nous avons faites en faveur du Docteur Lafitte..... Si le rédacteur du Temps n'est pas comme nous convaincu de l'innocence de cet infortuné il pourrait au moins au lieu de parler d'intérêt, laisser à ceux qui s'occupent désormais de cette malheureuse famille, le mérite de quelques sentiments d'humanité. J'ose espérer Monsieur le rédacteur en chef de votre équité que vous voudrez bien publier cette lettre et vous prie de recevoir l'expression de mes sentiments les plus distingués ». On peut encore apprécier la complicité entre Gilles de la Tourette et Montorgueil à plusieurs notes qu'ils échangent, comme celle-ci: « le 15 octobre 1894, Mon cher ami, Merci pour l'affaire Lafitte. Voilà le dernier cri. Ma femme a été reçue par Madame Casimir Perier, Président de la République, d'une façon fort aimable. Elle lui a remis une pétition des deux petites jumelles du Docteur Lafitte. Naturellement ceci entre nous, rien pour le journal. C'est bien assez que je sois dans les gazettes de ce bon Renaudot. Si la grâce ne réussit pas quel bel article je vous donnerai .... C'est dégoûtant la façon dont se comporte le parque de Seine et Oise .... PS : Ne dites pas à un de vos collègues la réception de Madame Casimir Perrier. Il pourrait n'avoir pas votre discrétion ».
 
Ces exemples parmi d'autres expliquent les propos de son ami et hagiographe Paul Legendre quand il écrit au début de la biographie qu'il lui a consacré : « Avec les goûts qu'il avait pour l'histoire et la littérature, il eût pu être tenté de déserter les cours de la Faculté et les salles des hôpitaux pour les cours de la Sorbonne et du Collège de France; il se fût peut-être glissé dans les rédactions des journaux littéraires et politiques pour devenir exclusivement publiciste, au lieu de ne trouver dans le journalisme qu'un délassement de sa carrière médicale » [15].
 
gilles de la tourette
extrait de
Une leçon de Charcot à La Salpêtrière
tableau de André Brouillet 1887
 
L'hystérie
 
Inscrit en 1876 à la faculté de médecine de Paris, Gilles de la Tourette fut nommé externe en 1878 à sa deuxième tentative, interne en 1881 à 24 ans. Il termine son internat à La Salpêtrière à partir de 1884. En 1887, il devient chef de clinique de JM.Charcot alors au sommet de sa gloire, nommé titulaire de la chaire des Maladies du Système Nerveux en 1882. A cette époque, JM. Charcot a derrière lui tous ses travaux majeurs de neurologie, ayant décrit la maladie de Parkinson, la sclérose latérale amyotrophique, la sclérose en plaques et ses théories sur les localisations cérébrales. Il s'intéresse depuis dix ans à l'hystérie et va trouver en Gilles de la Tourette son serviteur le plus zélé pour diffuser ses conceptions. JM. Charcot ne publiera plus aucun livre, sous sa signature et en français, et chargera ses élèves de publier les travaux qui ont assuré sa célébrité auprès de ses contemporains mais ont été les plus contestés par la suite: Gilles de la Tourette, Richer, Guinon, Blocq, Bourneville, entre autres [16]. Il ne donne ses vues que par les préfaces qu'il accorde à chacun. Seul Gilles de la Tourette bénéficera de trois préfaces, chacune ayant pour thème l'hystérie, ce qui indique bien l'estime toute particulière en laquelle JM. Charcot le tenait [17]. Il faut noter que JM. Charcot publiera, sous son seul nom, deux articles, oubliés depuis, mais en anglais dans une revue de vulgarisation américaine Forum of New York, en 1889, Magnetism and Hypnotism et en 1890, Hypnotism and Crime [18,19].
 
JM. Charcot encouragea toujours ses élèves à trouver dans l'art l'illustration de ses conceptions de l'hystérie. C'est à nouveau à Loudun que Gilles de la Tourette en trouva la meilleure représentation en composant en 1886 : « Soeur Jeanne des Anges supérieure des ursulines de Loudun XVIIè s, autobiographie d'une hystérique possédée », préfacée pour la première fois par son maître [20].
 
Mais n'oublions pas que Gilles de la Tourette avait été interne de P. Brouardel et fut agrégé de Médecine Légale en 1891. C'est pourquoi il est intéressant de voir évoluer le point de vue médico-légal de Gilles de la Tourette sur l'hystérie et l'hypnotisme, en particulier dans la controverse engagée avec l'Ecole de Nancy et Bernheim. Dans son livre, L'hypnotisme et les états analogues du point de vue médico-légal, en 1887, Gilles de la Tourette donne deux exemples d'hystériques (la célèbre Blanche Wittman et Mlle H.E.) incitées à commettre un crime en état d'hypnose et qui déclarèrent avoir réellement commis leur acte avant leur éveil [21]. Pourtant, dans deux occasions, Gilles de la Tourette défendra farouchement le point de vue contraire.
 
D'abord, en 1889-1890, une affaire criminelle passionna le public, l'affaire Gouffé du nom d'un huissier. Celui-ci avait été pendu par Michel Eyraud, caché derrière un rideau, alors qu'il avait été invité à s'allonger sur un sofa par Gabrielle Bompard, la galante complice l'ayant attiré dans ce traquenard et lui ayant passé délicatement une corde autour du cou pendant de supposés préliminaires. Les meurtriers ne trouvèrent pas les économies escomptées et abandonnèrent le corps dans une malle. G. Bompard se constitua spontanément prisonnière quelques mois plus tard. Ses avocats bâtirent sa défense en expliquant qu'elle avait agi sous l'emprise d'un état hypnotique dans lequel M. Eyraud l'avait plongée. Liégeois, représentant Berhneim et l'école de Nancy vint rapporter devant la cour ses propres expériences, sensées démontrer qu'un crime était réalisable par suggestion. Mais P. Brouardel et G. Ballet, nommés à titre d'experts, ridiculisèrent sa déposition. Eyraud fut condamné à mort et Bompard à 20 ans d'emprisonnement [22]. A cette occasion, Gilles de la Tourette rédigea un mémorable « Épilogue d'un procès célèbre » proclamant la victoire des théories de La Salpêtrière qui niait toute possibilité d'action violente réalisée sous hypnose et par suggestion [23].
 
Ensuite, dans une lettre à son ami Montorgueil : « 14 janvier 1893. Mon cher Monsieur, Je ne sais pas comment vous vous y prenez pour mousser si bien vos articles et si exactement avec aussi peu de renseignements. Je vais vous en signaler un autre : je voulais le faire pour ma chronique scientifique de la Revue hebdomadaire mais je n'ai pas le temps en ce moment et j'ai peur qu'il passe d'actualité.... Peut-on endormir quelqu'un malgré lui ? Réponse: non. Tout ce que l'on dit est de la sottise. Pouvons-nous vous convaincre ? Je vous prie de me faire l'amitié de venir dîner avec nous vendredi 20 janvier à 7 h 30 (sans cérémonie). Vous trouverez entre autres mes amis Cravard et Lembert qui viennent de faire un traité de l'anesthésie chirurgicale et obstétricale. Je compléterai la chose en vous disant « oralement » dans quelles conditions on peut endormir quelqu'un malgré lui (ou malgré soi. Je suis en brouille avec l'académie). Et nous boirons à la santé de Théophraste Renaudot qui vous doit une si belle chandelle. C'est entendu n'est-ce pas? Cordialement. Gilles de la Tourette ».
 
Rappelons qu'en cette même année, le 6 décembre 1893, quelques mois après que Gilles de la Tourette ait perdu un fils d'une méningite et que son maître Charcot fût disparu, une jeune femme, Rose Kamper, tira sur lui des coups de feu, dans son cabinet de consultation, après qu'il ait refusé de lui donner l'argent qu'elle lui réclamait. Les blessures ne furent que superficielles. Peu après la meurtrière déclara: « Interrogée sur le mobile qui l'avait poussée à attenter aux jours du médecin, cette femme réitéra qu'elle était dans la misère et que s'étant prêtée jadis soit volontairement, soit à son insu, (sic) à des expériences d'hypnotisme à la Salpêtrière, elle avait aliéné sa volonté de telle sorte qu'elle se trouvait aujourd'hui dans l'impossibilité de se remettre à travailler et que conséquemment il lui paraissant logique de venir demander de l'argent à ceux qui lui avaient ôté son pain ». Le soir même Gilles de la Tourette écrivit à Montorgueil d'une plume mal assurée: « Je serai heureux de vous voir aujourd'hui. La balle est enlevée. Ça va mieux, mieux. Cordialement. Gilles de la Tourette. Quelle drôle d'histoire ». Et Montorgueil publiera dans L'Eclair du 8 décembre un article complet ! Survenant quelques mois après la querelle publique, dans un prétoire, opposant l'Ecole de Nancy et l'Ecole de La Sapêtrière, ce fait divers suscita une couverture médiatique considérable, certains journaux allant jusqu'à insinuer un montage publicitaire orchestré par Gilles de la Tourette. Le troisième tome de son Traité de l'hystérie, relu quelques jours avant sa mort par JM. Charcot, parut en 1895. Gilles de la Tourette n'écrivit plus qu'un texte sur l'hystérie, par la suite, en 1900 [23,24, 25]. On peut ainsi dire que Gilles de la Tourette fut un théoricien de la suggestion criminelle, un expert auprès de la justice d'un avis contraire au précédent, et une propre victime indirecte de ces théories ! [26]
 
Le comportement
 
Né en Poitou, le 30 octobre 1857, au sein d'une lignée de médecins, l'enfance et l'adolescence de Gilles de la Tourette sont marquées, d'une part, par de brillants résultats scolaires avec l'obtention du baccalauréat à 16 ans, et d'autre part, des difficultés d'insertion, notamment à l'internat du lycée de Chatellerault où il fut toujours indiscipliné et régulièrement réprimandé. Jugé immature par sa mère, celle-ci lui imposa de commencer ses études de médecine à Poitiers dans la crainte de le voir s'égarer à Paris; il y resta trois ans.
 
Son ami Paul Legendre, qui le connut en 1881 au début de son internat, le décrit : "C'était un garçon jovial et exubérant, ayant le verbe haut et la parole facile... Très ardent mais peu patient, il n'était pas homme à laisser ses contradicteurs épuiser peu à peu leurs arguments... il s'emballait à la première contradiction...". Dans une lettre qu'il adresse à sa femme, pendant son séjour parisien, Freud parle de Gilles de la Tourette qu'il a rencontré lors d'une soirée du mardi chez JM. Charcot: « c'est un authentique méridional" remarquant son caractère fougueux et bouillant ». Pas plus que JM. Charcot, Gilles de la Tourette n'affichait d'opinions politiques mais partageait les idées de républicain convaincu et anticléricales de son maître. Il était l'ami de Bourneville et le soutenait dans son combat pour la laïcisation des hôpitaux. Une chanson de salle de garde en témoigne [15,27,28,29] :
 
« M'sieu Gilles de la Tourette
N'est pas d'humeur facile
Quand avec des pincettes
On touche à Bourneville ».
 
Dans "Devant la douleur" Léon Daudet trace un portrait sévère de Gilles de la Tourette : "Gilles de la Tourette était laid, à la façon d'une idole papoue sur laquelle serait implantés des paquets de poils..... Il avait une voix éraillée et brûlée, le geste brusque, la démarche falote. Il passait pour un original, abordait un sujet intéressant, le délaissait pour un autre, déconcertait ses maîtres par ses bizarreries qui allaient en augmentant et devenaient de moins en moins drôles. .... Il gambadait, sautait, dansait quand on appelait son attention sur certaines coïncidences. Il répétait « c'est mon idée très ferme ».
 
La personnalité de Gilles de la Tourette apparaît donc inhabituelle avec des traits hypomaniaques et histrioniques, intelligent mais instable, hyperactif et combatif. La maladie qui l'emporta aggrava notablement tous ces traits.
 
La syphilis
 
Gilles de la Tourette avait été interne de Fournier. S'il acceptait l'idée que le tabès avait une origine syphilitique, il ne s'accorda jamais avec son ancien maître sur l'origine syphilitique de la démence de la paralysie générale [30]. Dans « Paris vécu », Léon Daudet relate comment, selon lui, la maladie de Gilles de la Tourette se révéla publiquement. « Pierre Marie, qui devait faire beaucoup plus tard un abattage si remarquable de la localisation du langage articulé, était alors très discipliné, très modeste, très en retrait :  « Oui Monsieur, non monsieur, parfaitement Monsieur ». II était bien de sa personne, fort aimable, plus semblable à un avocat timide qu'à un médecin. Il tranchait avec ce pauvre Gilles de la Tourette, hirsute, bavard catégorique, absurde, et qui mourut fou. Le délire de Gilles de la Tourette, consécutif à un tréponème négligé, se révéla publiquement de la façon la plus cocasse. Faisant passer un examen, il demanda au candidat: « quels sont Monsieur, les trois plus grands médecins français du XIXème siècle ? » L'élève réfléchit et répondit : « Laennec, Duchenne de Boulogne et Charcot », car il savait que Gilles de la Tourette avait été l'élève du troisième. - Non, Monsieur, vous n'y êtes pas: il y a eu mon grand-père, mon père et moi, Coco. C'est pourquoi ici l'examinateur coiffa le jeune homme interdit de sa propre toque d'agrégé, c'est pourquoi on va m'élever une statue en bromure de potassium! ». Les archives de l'Assistance Publique présentent Gilles de la Tourette en congé pour raisons de santé à partir du 1er novembre 1901 [31]. Après la démission en 1900 de Brisssaud de la chaire d'histoire de la médecine, Gilles de la Tourette envisagea de postuler. L'analyse du manuscrit de 38 pages qu'il rédigea dans ce but et ne fut jamais déposé comprend certains passages pathétiques indiquant la fuite des idées, la mégalomanie, la perte de l'autocritique: « C'est nous le croyons, un service magnifique que nous avons rendu à l'histoire de la médecine en représentant et en faisant aussi aimer ces vieux trésors de nos musées, ces documents si précis et si représentatifs dans leur figuration .... et qui étaient jusqu'alors restés presque complètement ignorés et méconnus de la masse du public et aussi des médecins les plus experts en choses posthumes de la médecine. Nous avons aussi publié en les joignant, mémoires originaux aux découvertes les plus belles en art ancien et moderne, 3 à 400 planches ou dessins au minimum qui pourraient aussi fournir un volume superbe élevé à la gloire de la médecine française. On devrait toujours la consulter afin d'avoir constamment présente à la pensée et à l'esprit cette évolution historique parallèle et admirable de l'histoire de la médecine et de l'art de la peinture de la sculpture, et de la parure en France et à l'étranger avec des documents figurés qui n'ont pas leurs équivalents dans le monde. Ils figurent très rarement en effet dans les livres habituels si ce n'est peut-être dans le grand ouvrage de l'honnête Ambroise Paré qui devait être un excellent dessinateur car son livre est orné de merveilles ». Il fut hospitalisé à son insu, à la Maison de santé du Bois de Céry, près de Lausanne, accompagné de JB Charcot, fils de son maître et condisciple, qui argua d'une demande d'un avis médical sur un patient célèbre de la clinique. Il devint psychotique et dément, victime de convulsions répétées et mourut le 22 mai 1904.
 
 
Quel parcours singulier pour une personnalité singulière !
 
Biographe de l'inventeur du journalisme, Théophraste Renaudot, Gilles de la Tourette semble s'en être profondément inspiré pour devenir un auteur et un débatteur prolixe tant sur des sujets médicaux, qu'artistiques, ou de faits de société de son temps, dans de multiples journaux et quelques livres. Ami intime d'un journaliste influent, il sût s'en servir pour diffuser les résultats de ses travaux comme ceux de son maître vénéré JM. Charcot, mais aussi pour être informé officieusement comme Renaudot l'était auprès de Richelieu.
 
Porte-parole intransigeant des dogmes sur l'hystérie, issus de l'Ecole de La Salpêtrière, il plaida des avis opposés sur la possibilité de crimes commis sous l'emprise d'un état hypnotique, par la suggestion, pour, enfin, en être victime, lui-même, dans sa chaire lors d'une tentative d'assassinat.
 
Maintenant avec constance un avis péremptoire contre Fournier que la paralysie générale n'était pas d'origine syphilitique, il finit pas mourir dans un tableau de démence et de détérioration neurologique de cette maladie.
 
 
Gilles de la Tourette n'a consacré que moins de trois ans, au tout début de sa carrière de neurologue, à isoler du chaos descriptif de la chorée, une nouvelle entité pathologique définitivement associée à son nom, la maladie de Gilles de la Tourette. Or, les témoignages de ses contemporains sur son comportement peuvent faire penser qu'il extériorisait des traits psychopathologiques tels que ceux qui appartiennent actuellement à la description de la maladie qui porte son nom.
 
Gilles de la Tourette a donc bien eu la vie de ses écrits
 
Bibliographie
 
1°) Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders. American Psychiatric Association. 1994 · 792p.
 
2°) Shapiro AK, Shapiro E, Bruun RD, Sweet RD. Gilles de la Tourette Syndrome. New York. Raven Press. 1978.
 
3°) Beard G. Experiments with the "jumpers" or "jumping Frenchmen" of Maine. Journal of Nervous and Mental Disease. 1880;7: 487-490.
 
3 bis°) Gilles de la Tourette G. Les "Sauteurs" du Maine (États-Unis), traduit de G. Beard. Arch Neurol (Paris). 1881;2:146-160.
 
4°) Gilles de la Tourette G. Jumping, Latah, Myriachit. Arch. Neurol (Paris). 1884;8:68-74.
 
5°) Gilles de la Tourette G. Etude sur une affection nerveuse caractérisée par de l'incoordination motrice accompagnée de l'écholalie et de la coprolalie. Arch Neurol (Paris). 1885;9:19-42 et 158-200.
 
6°) Gilles de la Tourette G. La maladies des tics convulsifs. La Semaine Médicale. 1899;19:153-156.
 
7°) Gilles de la Tourette G. Théophraste Renaudot, d'après des documents inédits, un essai de Faculté libre au XVIIè siècle, les consultations charitables, La Gazette. Plon éd. Paris 1884.
 
8°) Gilles de la Tourette G. L'état mental de Froufrou. La Revue Hebdomadaire. 1892;27:624-629.
 
9°)Gilles de la Tourette G. La folie de la Reine Juana. La Revue Hebdomadaire. 1893;63:461-470.
 
10°) Gilles de la Tourette G. A propos du procès Cauvin: l'état mental de Marie Michel. La Revue Hebdomadaire. 1896;202:118-131.
 
11°) Gilles de la Tourette G. L'état mental de feu Ravachol. La Revue Hebdomadaire. 1892;29:62-629.
 
12°) Gilles de la Tourette G. L'épilogue d'un procès célèbre (affaire Eyraud-Bompard). Progrès Médical. Lecrosnier et Babé Ed. Paris. 1891. 16p.
 
13°) Montorgueil G. La correspondance privée de Gilles de la Tourette à G. Montorgueil (1892-1904). Archives Nationales. 428 AP/2.
 
14°) Gilles de la Tourette. L'affaire Lafitte. Le progrès Médical. 1894;20(2):273-276.
 
15°) Legendre P. Gilles de la Tourette 1857 - 1904. Bulletins et Mémoires de la Société Médicale des Hôpitaux de Paris. 1905;21(3):1298-1311.
 
16°) Gelfand T. Charcot, médecin international. Rev Neurol (Paris). 1994;150(8-9):517-523.
 
17°) Goetz CG. The prefaces by Charcot. Leitmotifs of an international career. Neurology. 2003;60:1333-1340.
 
18°) Charcot JM. Magnetism and Hypnotism. Forum of New York. 1889;8:566-577.
 
19°) Charcot JM. Hypnotism and Crime. Forum of New York. 1890;9:159-168.
 
20°) Gilles de la Tourette G. Soeur Jeanne des Anges supérieure des ursulines de Loudun au XVIIè s, autobiographie d'une hystérique possédée, d'après le manuscrit inédit de la bibliothèque de Tours. Le Progrès Médical. Paris; 1886. 321p.
 
21°) Gilles de la Tourette G. L'hypnotisme et les états analogues du point de vue médico-légal. Libraire Plon-Nourrit. Paris 1887. 534p.
 
22°) Bogousslavsky J, Walusinski O. Criminal Hypnotism at the Belle Epoque: The path traced by Jean-Martin Charcot and Georges Gilles de la Tourette. Schweizer Archiv für Neurologie und Psychiatrie. 2009. in press.
 
23°) Gilles de la Tourette G. L'épilogue d'un procès célèbre (affaire Eyraud-Bompard). Progrès Médical. Lecrosnier et Babé Ed. Paris. 1891. 16p.
 
24°) Guinon G. Attentat contre le Docteur Gilles de la Tourette. Le Progrès Médical. 1893;2(18):446.
 
25°) Gilles de la Tourette G. La localisation cérébrale des troubles hystériques. La Revue Neurologique. 1900;5:225-226.
 
26°) Bogousslavsky J, Walusinski O. The forgotten Gilles de la Tourette : Practitioner, expert, and victim of criminal hypnotism. 2009, submitted.
 
27°) Duncan G. Gilles de la Tourette : aspects connus et méconnus de sa vie et de son oeuvre. Thèse pour le doctorat en médecine. Poitiers. 1995. 166p.
 
28°) Lees AJ. Georges Gilles de la Tourette, the man and his times. Rev Neurol (Pais). 1986;142(11):808-816.
 
29°) Guilly P. Gilles de la Tourette. in Historical Aspects of Neurosciences, edited by F. Clifford Rose and W.F. Bynum. Raven Press, New York. 1982:397-413.
 
30°) Gilles de la Tourette G. Formes cliniques et traitement des myélites syphilitiques. JB Baillière et fils. Paris 1899. 90p.
 
31°) Archives de l'Assistance Publique. Etat du personnel médical des hôpitaux et hospices, janvier 1903, D617.
 
La maladie de Gilles de la Tourette
La maladie des tics convulsifs Gilles de la Tourette G.(pdf)
Contribution à l'étude des bâillements hystériques Nouvelle Iconographie de La Salpêtrière1890
Traité clinique et thérapeutique de l'hystérie d'après l'enseignement de La Salpêtrière1895
Gilles de la Tourette par P. Legendre pdf
Attentat contre Gilles de la Tourette 07/12/1893
La nécrologie La Presse Médicale 4 juin 1904
La nécrologie Nouvelle Iconographie de la Salpêtrière 1904
The forgotten face of Gilles de la Tourette: practitioner, expert, and victim of criminal hypnotism at the Belle Époque Bogousslavsky J Walusinski O
Criminal hypnotism at the Belle Époque : The path traced by Jean-Martin Charcot and Georges Gilles de la Tourette Bogousslavsky J Walusinski O Veyrunes D
Correspondance inédite de G. Gilles de la Tourette, sa maladie fatale Walusinski O. Duncan G
Correspondance inédite de G. Gilles de la Tourette avec JM. Charcot et G. Montorgueil Walusinski O. Duncan G
Vivre ses écrits, l'exemple de G. Gilles de la Tourette Walusinski O. Duncan G
G. Gilles de la Tourette 1857-1904 in english
L'état mental de Froufrou G. Gilles de la Tourette 1892
Mademoiselle Bottard. Gilles de la Tourette G. La Revue Hebdomadaire 1898
Marguerite Bottard (1822-1906) sa biographie et la lettre inédite de G. Gilles de la Tourette Walusinski O. PDF
  
The forgotten G. Gilles de la Tourette : practinionner, expert, and victim of criminal hypnotism
Bogousslavsky J, Walusinski O
Clin Neurol Neurosurg 2010;112:549-551
 
Criminal hypnotism at the Belle Epoque : the path traced by JM Charcot and G. Gilles de la Tourette
Bogousslavsky J, Walusinski O, Veyrunes D
European Neurology 2009;62(4):193-199

Journaliste français, par Boucher (1869-1910)
Autrefois située rue de Lutèce (Paris, IV ème)
Bronze, fondue lors de la guerre 1939-1945
 theophraste renaudot
jean chauvreau tics