Le bâillement, du réflexe à la pathologie
Le bâillement : de l'éthologie à la médecine clinique
Le bâillement : phylogenèse, éthologie, nosogénie
 Le bâillement : un comportement universel
La parakinésie brachiale oscitante
Yawning: its cycle, its role
Warum gähnen wir ?
 
Fetal yawning assessed by 3D and 4D sonography
Le bâillement foetal
Le bâillement, du réflexe à la pathologie
Le bâillement : de l'éthologie à la médecine clinique
Le bâillement : phylogenèse, éthologie, nosogénie
 Le bâillement : un comportement universel
La parakinésie brachiale oscitante
Yawning: its cycle, its role
Warum gähnen wir ?
 
Fetal yawning assessed by 3D and 4D sonography
Le bâillement foetal
http://www.baillement.com

mystery of yawning 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

haut de page

 

 

 

 

 

 

 

 

mise à jour du
31 mars 2012
 
PDF
 
Lexique
Bâillement hystérique
(bâillement naturel et bâillement suggéré)
 
Maardi 23 octobre 1888
 
Cours de Jean Martin Charcot
Chat-logomini
iconographie salpetriere
Première malade (voir deuxième malade)
 
Nous allons aujourd'hui, en commençant, procéder à l'examen d'une malade qui est dans le service depuis six mois et dont, par conséquent, la maladie n'a pour nous rien d'imprévu. (Une jeune fille de dix-sept ans est introduite, dans la salle du cours.)
 
Mr CHARCOT (indiquant un siège à la jeune malade): Mettez-vous là, mademoiselle, en face de moi. (Aux auditeurs): Regardez-la et tâchez de ne pas vous laisser influencer, suggestionner ou intoxiquer, comme vous voudrez dire par ce que vous allez voir et entendre.
 
iconographie salpetriere
 
C'est un acte quelque peu imprudent, sans doute, de la part d'un professeur, que de commencer son cours en parlant du bâillement et de présenter un cas où le bâillement est le phénomène le plus apparent. Car le bâillement est contagieux, vous le savez, au premier chef et rien que d'entendre prononcer le mot de bâillement, qui, dans les langues les plus diverses, vise à l'imitation onomatopéïque de la nature, - sbadiglio (ital.); yawning (angl.); gähnen (allem.), - on se sent pris d'une envie de bâiller presque invincible.
 
Mais j'ose espérer qu'une fois prévenus, nous saurons résister, vous et moi, aux suggestions qui nous menacent. Pendant que je dissertais, vous avez vu et entendu notre malade déjà bâiller plusieurs fois; chez elle, veuillez le remarquer, le bâillement est, en quelque sorte, rythmé, en ce sens qu'il se reproduit à des intervalles toujours à peu près de même durée et assez courts, du reste. Sous ce rapport, il s'est produit, depuis que la malade est entrée à l'hôpital, quelques changements que je tiens à vous faire connaître.
 
A l'origine, en effet, il y a quatre ou cinq mois, elle bâillait environ huit fois par minute (480 bâillements par heure, soit 7.200 en quinze heures de veille); aujourd'hui le nombre des bâillements est réduit à quatre dans le même espace de temps, chaque bâillement occupe individuellement un temps assez long. Autrefois chacun d'eux durait cinq ou six et même sept secondes; aujourd'hui, ils ne durent que trois ou quatre secondes au plus. Il s'est donc produit un certain amendement à cet égard et le phénomène ne nous apparaît plus que sous une forme atténuée. J'ajouterai que chaque bâillement se montrait double auparavant, composé de deux bâillements élémentaires, tandis qu'aujourd'hui il ne s'agit plus en général que d'un acte de bâillement simple. Toutes ces particularités vous les lirez facilement sur les divers tracés, recueillis suivant la méthode graphique, que je vous présente et qui sont relatifs à diverses époques de la maladie (Fig. 1, 2, 3, 4 et 5).
 
enregistrement1
 
Ainsi vont les choses du matin au soir, sans interruption aucune, si bien que le sommeil seul met trêve aux bâillements, il fut un temps, vous le reconnaîtrez sur le tracé (fig. 2), où ceux-ci étaient tellement précipités, que les respirations normales n'avaient, pour ainsi dire, pas le temps de se produire, et que le bâillement, par conséquent, était le seul mode de respirer que la malade eût à son service. Il fut un temps également où la toux, la toux nerveuse, alternait avec le bâillement et l'on peut suivre sur le, schéma du tracé du 15 août (fig. 3), l'alternance en quelque sorte mathématiquement régulière de la toux et du bâillement. Aujourd'hui la toux a complètement cessé, et le bâillement régne seul, exclusivement.
 
Pour ce qui est du bâillement considéré en soi, il ne diffère chez la malade, en rien d'essentiel, du bâillement physiologique. Vous savez ce qu'est celui-ci: ce n'est autre chose qu'une longue et profonde inspiration, presque convulsive, pendant laquelle il se produit un écartement considérable de la mâchoire, souvent avec flux de salive et sécrétion de larmes, - phénomènes sur lesquels Darwin insiste particulièrement, - et suivi d'une expiration également prolongée et bruyante. Physiologiquement, on assure que c'est un acte automatique nécessite par un certain degré d'anoxémie, un besoin d'hématose des centres nerveux. Tantôt le bâillement est simple, tantôt il est suivi ou s'accompagne de pandiculations, c'est-à-dire de contractions musculaires presque générales.
 
schéma-sensibilité
 
Eh bien, ce n'est pas tant par l'intensité que par sa répétition presque incessante que le bâillement, chez notre malade, s'éloigne de l'état normal, on peut même dire que chez elle les bâillements se montrent relativement modérés dans leur intensité, qu'ils ne s'accompagnent par exemple, habituellement pas de pandiculations et presque jamais - cela arrive cependant quelquefois - d'une sécrétion de la salive ou des larmes.
 
Vous avez sans doute prévu, après ce que je viens de vous dire, que nous sommes ici dans le domaine de l'hystérie, et il n'est pas sans intérêt de relever une fois de plus cette régularité singulière, ce rythme qui, chez notre malade, marque le retour des bâillements: rythme et cadence, voilà un caractère propre à nombre de phénomènes hystériques, et bien des fois j'ai saisi l'occasion de vous le faire remarquer. Dans la chorée rythmée, en particulier, il est si accentué qu'un maitre de ballet pourrait noter et écrire les mouvements étranges, souvent fort complexes, qu'exécutent les malades lorsqu'ils sont sous le coup de leur accès. Il y a là, comme il est dit dans Hamlet, « de la méthode, bien que ce soit de la folie ». La toux, les mugissements, les aboiements hystériques se prêtent naturellement aux mêmes considérations.
 
Je crois bien qu'on peut affirmer que tout bâillement, se reproduisant à des intervalles réguliers, comme cela se voit dans notre cas, est un phénomène hystérique ; mais il ne faudrait pas croire que tout bâillement morbide quelconque soit nécessairement de cette nature. Ainsi, M. Féré, tout récemment, a publié dans la Nouvelle Iconographie de la Salpêtrière, numéro 4 (juillet et août 1888), un cas de bâillements occupant les intervalles des accès chez un épileptique.
 
Je dois ajouter que le bâillement pathologique, phénomène nerveux par excellence, n'appartient pas exclusivement à la catégorie des maladies nerveuses proprement dites. L'ancienne séméiologie s'attachait beaucoup aux bâillements morbides considérés comme signes pronostiques dans les maladies aiguës: ainsi, pour Roederer, les bâillements survenant à la fin de la grossesse devaient faire redouter la fièvre puerpérale! Que dire des bâillements chez les apoplectiques? Bien qu'ils reproduisent, au milieu des symptômes comateux un phénomène qui, volontiers, précède et suit le sommeil naturel, je les croirais, en pareil cas, si j'en juge par mon expérience propre, plutôt de mauvais augure.
 
enregistrement2
 
À la vérité, toute cette ancienne séméiologie du bâillement me semble aujourd'hui bien démodée; peut-être y aurait-il intérêt à la refaire. Pour le moment, j'ai voulu relever seulement que tout bâillement pathologique n'est pas nécessairement un bâillement hystérique, et, à ce propos précisément, je voudrais signaler encore que le retour fréquent des bâillements pendant les périodes d'amorphinisme pourrait contribuer à révéler l'existence de la pratique régulière des injections de morphine chez un sujet qui, ainsi que cela arrive plus souvent qu'on ne le pense, voudrait tromper le médecin en la tenant cachée. Mais il est temps d'en revenir au sujet que nous avons sous les yeux. J'affirme que le bâillement est chez elle un phénomène hystérique: cela, sans doute vous parait déjà fort vraisemblable; mais il nous reste encore cependant à démontrer régulièrement qu'il en est réellement ainsi.
 
La question qui se présente à nous en ce moment est celle-ci: le bâillement est-il, chez notre malade, un symptôme solitaire? En d'autres termes: l'hytérie est elle, chez elle, monosymptomatique, comme j'ai coutume de la dire en pareil cas, c'est-à-dire marquée, révélée exclusivement par un symptôme unique, à savoir, dans l'espèce. le bâillement ? Cela pourrait être, pareille chose arrive fréquemment pour la toux, l'aboiement, le hoquet, les bruits laryngés divers, tous phénomènes connexes au bâillement. Je dirai même que, souvent, il paraît y avoir une sorte d'antagonisme entre les phénomènes d'hystérie locale, comme on les appelle quelquefois, et les phénomènes hystériques vulgaires, tels que: hémianesthésie, ovarie, attaques convulsives, etc.
 
En pareil cas, il peut y avoir, parfois, pour le diagnostic, des difficultés vraiment sérieuses. Cependant, même dans ces cas, la monotonie même des accidents, leur retour systématique à des intervalles mesurés, toujours les mêmes, l'impossibilité de les rattacher à une affection quelconque, autre que la névrose hystérique, et bien d'autres circonstances encore qu'il serait trop long d'énumérer, permettent presque toujours de les reconnaître pour ce qu'ils sont.
 
Mais, chez notre sujet, nous ne rencontrerons même pas les difficultés auxquelles je viens de faire allusion car, chez elle, les phénomènes hystériques les plus variés, les plus caractéristiques se sont, en quelque sorte, donné rendez-vous, de façon à dissiper toutes les obscurités. C'est ce qui ressortira de l'énoncé que je vais faire de ce qui me reste à dire concernant l'histoire clinique de cette malade.
 
champ visuel
 
Je vous rappellerai que notre jeune malade est aujourd'hui âgée de dix-sept ans. Considérons d'abord les antécédents héréditaires, car, ainsi que j'ai eu bien souvent l'occasion de le répéter, en matière de pathologie nerveuse l'observation du malade qu'on a sous les yeux ne saurait être considérée que comme un épisode; il faut la compléter, si faire, se peut, par l'histoire pathologique de la famille tout entière. Or, voici ce que les investigations dirigées dans ce sens nous font reconnaître: Père inconnu; cela est déjà quelque chose, car il n'est pas, moralement, tout à fait normal d'abandonner un enfant dont on est le père; quoi qu'il en soit, voilà tout un côté de la famille qui échappe à notre étude - Rien à noter, paraît-il, chez la mère, en fait de phénomènes nerveux. Il n'en est pas de même pour ce qui concerne la sœur de la malade. Il est même très intéressant de relever, chez celle-ci l'existence, vers l'âge de dix-huit ans, d'un hoquet très tenace, de longue durée. Hoquet et bâillement, ce sont là, remarquez-le bien, des phénomènes de la même série.
 
Les antécedents personnels sont plus riches: si, en effet, on remonte dans le passé, on peut dire que les accidents nerveux d'aujourd'hui ne sont, en quelque sorte, que la réédition, sous une forme nouvelle, d'accidents antérieurs.
 
De trois à huit ans, elle a donc été fort précoce sous ce rapport, elle a été sujette à des attaques de nerfs accompagnées de perte de connaissance. Ces attaques se reproduisaient quelquefois presque sans cesse et sans trêve pendant une période de vingt-quatre heures. Evidemment, il s'agissait là non pas d'attaques comitiales, mais bel et bien d'attaques hystériques de la grande forme hystéro-épilepsie. Une affection, désignée sous le non de chorée, a paru également vers cette époque et elle a occupé la scène pendant trois mois. De l'âge de neuf ans jusqu'à l'époque présente, les troubles nerveux s'effacent complètement. Ils ont reparu en mai dernier, sans cause spéciale apparente, sous la forme suivante: ce fut d'abord un enrouement bientôt suivi d'une toux sèche presque incessante pendant la veille et s'arrêtant seulement pendant le sommeil pour reparaître le matin dès le réveil. Les nuits, du reste, étaient fort agitées et plusieurs fois la malade s'est réveillée à terre hors de son lit. Puis apparurent les premiers bâillements qui d'abord, alternèrent avec les quintes de toux (Voir les figures 1, 2, 3, 4), et ensuite régnèrent seuls se répétant alors environ huit fois par minute. Depuis le mois d'octobre, les choses se sont réglées ainsi qu'il suit: quatre par minute se reproduisant avec cette régularité sur laquelle j'ai déjà appelé votre attention.
 
Il n'y a pas longtemps que les phénomènes de l'attaque convulsive vulgaire sont venus se surajouter aux bâillements et je dois vous prévenir que je ne considère pas cette intervention de l'attaque convulsive comme marquant un empirement dans la situation. Je vous ai déjà laissé entrevoir que la toux comme le bâillement hystériques ne sauraient, en général, coexister avec l'attaque; l'un exclut l'autre jusqu'à un certain point. Et, à tout prendre, les phénomènes de l'hystérie convulsive vulgaire, régulière, sont bien moins tenaces, moins inaccessibles que ne le sont dans leur monotonie désespérante, la toux, l'aboiement et aussi le bâillement. Il s'agit là, en somme, d'un de ces cas où il avantage si faire se pouvait, ainsi que la bien montré M. le Pr Pitres, à favoriser le développement des attaques, dans l'espoir de changer le cours des choses et de rendre la maladie,dans son ensemble, plus accessible à influence des moyens thérapeutiques.
 
iconograpie salpetiere
 
Pour le moment, les attaques, chez notre sujet, sont, en quelque sorte, à l'état rudimentaire. Tout à coup la malade ressent des étouffements, il lui semble qu'une boule lui monte du creux épigastrique à la gorge; puis surviennent des bourdonnements d'oreilles, des battements dans les tempes. Il est intéressant de remarquer qu'au moment où ces phénomènes apparaissent, les bâillements cessent, momentanément (antagonisme entre les attaques et les bâillements). Souventl es choses ne sont pas poussées plus loin; cependant quelquefois il y a rigidité convulsive des membres, perte de connaissance qui peut durer un quart d'heure et plus. Souvent, la malade, après les attaques, tombe dans un profond sommeil. Voilà certes une série d'accidents qui, au premier chef, révèlent l'hystérie. Mais ce n'est pas tout: les stigmates permanents sont, chez notre sujet, parfaitement accentués et caractéristiques. Je me bornerai à en faire l'énumération sommaire :
 
1°) Anesthésie cutanée très accentuée sur toute l'étendue du membre supérieur droit, répandue sur le tronc en avant et en arrière, comme il est indiqué sur la figure no 6 (A. B.);
2°) Abolition presque absolue du goût et de l'odorat des deux côtés;
3°) Diminution de la sensibilité pharyngée;
4°) Dyschromatopsie du côté droit: le rouge et le jaune sont seuls perçus nettement;
5°) Enfin il existe un rétrécissement du champ visuel à peu près égal des deux côtés (fig 8 et 9)
 
Inutile d'insister: il est clair que les accidents divers que présente notre malade sont hystériques et que tout, chez elle, est hystérique. Quel pronostic dans ce cas? Il y a des ressources: à un âge plus avancé, chez la femme, l'hystérie accentuée est beaucoup plus tenace, plus persistante, quelques fois incurable. Je me réserve de vous exposer, dans une autre occasion, le traitement que dans ce cas, je me propose de mettre en oeuvre; actuellement, je veux diriger votre attention sur un autre côté de la question.
 
voir malade n°2
voir d'autres observations de JM Charcot citées par RF Trautmann
Traité clinique et thérapeutique de l'hystérie d'après l'enseignement de La Salpêtrière 1895
  
Note sur le bâillement Ch Féré 1905
Comptes-rendus de la société de biologie (Paris) 1905;2:11-12
 
 FindMe
 
biographie de JM Charcot