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mise à jour du
20 juin 2002
Nouvelle Iconographie de La Salpêtrière 1888
vol 1, n°4, p163-169
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Bâillements chez un épileptique
 
Charles Féré
13/07/1852 - 22/04/1907
 
interne de JM Charcot à La Salpétrière
puis médecin de l'hospice de Bicêtre
 
Nouvelle iconographie de La Salpêtrière1890
Epilepsie Charles Féré1893
Les observations de la thèse de RF Trautmann en 1901
Traité clinique et thérapeutique de l'hystérie d'après l'enseignement de La Salpêtrière1895

Chat-logomini

Le bâillement est constitué par une large inspiration avec distension extrême du thorax, élévation et rétraction en arrière des épaules. Cette inspiration bruyante s'accompagne d'une large ouverture de la bouche. Quelquefois, les bras s'élèvent et s'étendent, c'est ce qui constitue la pandiculation. C'est un acte involontaire qui se propage par imitation, qu'il soit vu ou entendu : on sait, en effet, que le bâillement se propage aussi bien par contagion chez les aveugles que chez les voyants. A l'état physiologique, il se produit sous l'influence de la fatigue, de la faim, d'états psychiques dépressifs, du froid, de la chaleur excessive. Il est plus fréquent chez la femme, surtout sous l'influence de la contagion.

Le bâillement est souvent un symptôme de troubles digestifs. Il peut encore se produire dans un grand nombre de conditions où l'hématose est gênée, au début de l'asphyxie, au moment de l'invasion d'un grand nombre de pyrexies, au début d'un bon nombre de pneumonies. Il n'est pas rare de le voir se produire à la suite des pertes de sang, etc.

Il est fréquent dans les psychoses à forme dépressive, dans l'hypochondrie, la mélancolie; on le voit aussi dans l'hystérie. Dans cette dernière névrose, il peut tenir au ralentissement général des phénomènes nutritifs, ou constituer une forme de spasme.

Dans l'épilepsie on le voit quelquefois précéder les attaques ou les vertiges; mais il est assez rare de le voir se produire d'une façon à peu près constante dans l'intervalle des paroxysmes. Aussi, ai-je cru que le fait suivant que j'ai observé dans mon service, à Bicètre, n'était pas indigne d'être rapporté, surtout en raison des quelques expériences qu'il a provoquées.

B... est âgé de vingt-trois ans. - Son père, agé de quarante-sept ans, est un homme nerveux qui s'effraye au moindre bruit; il lui est arrivé plusieurs fois, lorsqu'un bruit violent venait à frapper ses oreilles, de pâlir et d'être pris de sortes de convulsions qui le laissaient souffrant pendant plusieurs jours. Il est habituellement sobre. Un de ses cousins est devenu épileptique à la suite d'une peur et tomba jusqu'à huit fois par jour. Aucun autre antécédent précis de ce côté. - Sa mère a cinquante ans, n'a jamais été malade; elle ne donne sur sa famille aucun renseignement dont on puisse tenir compte. De leur mariage sont nés d'abord quatre enfants qui sont morts en bas âge; un seul était né avant terme, ils n'ont pas eu de convulsions; puis vint notre malade; ensuite deux filles qui se portent bien; et enfin un garçon, enfant du siège, qui a eu une seule crise de convulsions pendant l'allaitement et se porte bien depuis.

B... est né à terme et était bien constitué. Il a commencé à avoir des convulsions à l'âge de quatre mois; ces convulsions étaient fréquentes et violentes, il criait, se raidissait en portant le tronc en arrière, puis trémulait pendant un quart d'heure. Ces crises se produisaient quelquefois par séries qui duraient vingt-quatre heures. A six mois, à la suite d'une crise, il est resté paralysé de la moitié gauche du corps. A partir de ce moment, il s'est développé difficilement; ses attaques se renouvelaient plusieurs fois par mois, mais sa paralysie a diminué peu à peu. A quatre ans, il pouvait marcher, mais présentait des mouvements bizarres des quatre membres. C'est à peine si, à six ans, il disait « papa, maman ». Il a continué à se développer péniblement; mais, à dix ans, on ne distinguait plus de traces de sa paralysie, il avait toujours des mouvements athétosiques qui ont persisté. Ses attaques sont devenues moins fréquentes dans ces dernières années; depuis deux ans, il en a entre douze et sept par an et neuf vertiges.

charles fere

B... est assez bien constitué - mais on est tout de suite frappé de la longueur disproportionnée de ses membres supérieurs (taille, l,58; envergure l,69); il présente une légère asymétrie de la face aux dépens du côté droit. Il existe un léger degré de strabisme convergent de l'œil droit. La dentition est irrégulière et mauvaise. Aucune asymétrie sur le tronc et les membres, sauf un léger abaissement, avec dédoublement du pli fessier droit. - Phimosis. - Force dynamométrique : main droite, 50 ; main gauche, 45.

B... offre une mobilité extrême de la face et des membres; de temps en temps sa bouche se dévie à droite en même temps qu'elle s'ouvre largement et les yeux clignent ou se ferment. Il existe en même temps des mouvements dans le cou avec prédominance de la rotation de la tête à droite, Les membres des deux côtés sont animés de mouvements lents de flexion et d'extension qui se produisent dans tous les segments, y compris les doigts et les orteils - ces mouvements, qui se font alternativement dans toutes les directions, rappelleraient la chorée n'était leur lenteur. Les mouvements du thorax présentent aussi des irrégularités sur lesquelles nous aurons à revenir. Ce qui frappe, en particulier, ce sont des bâillements qui se répètent très fréquemment, surtout lorsqu'on force B... à rester assis tranquille.

Les paroxysmes se présentent sous la forme de vertiges qui paraissent se borner à de simples éblouissements sans chute. Quant aux accès, voici comment s'est présenté celui qui a eu lieu devant nous. Il lève le bras droit, semble tirer des fils de sa main gauche qu'il regarde fixement, a quelques tremblements des bras, et tombe en se tournant vers la droite sans pousser aucun cri. Il reste rigide, presque dans l'immobilité absolue; il n'y a que peu de coutorsions dans la face, qui s'est tournée à droite au moment de la chute, et a pâli. Il ne s'est pas mordu la langue, n'a pas uriné. Sitôt après l'accès, on le relève, mais il ne tient pas sur ses jambes. Il se livre à des mouvements bizarres avec ses membres supérieurs, prend avec ses mains des objets imaginaires sur sa tête et les porte à sa bouche; regarde de côté et d'autre, mais ne répond pas aux interpellations. Il est incapable de conserver dans sa main les objets qu'on y place. Pendant une demi-heure, il parait suivre du regard des objets imaginaires. Au bout de ce temps, il est parvenu à grand peine à se mettre debout en s'appuyant sur la muraille; mais il s'est laissé retomber au bout d'un instant, promenant de tous côtés un regard effaré, se mordant les doigts, se grattant la tête. Il se remet debout avec la même peine ; on lui présente le dynamomètre pour provoquer une manoeuvre qu'il connait bien, mais il porte immédiatement l'instrument à sa bouche. Il s'est enfin jeté sur le lit de camp où il s'est endormi pour un quart d'heure. A son réveil, l'exploration dynamométrique donne 40 pour la main droite, 25 pour la gauche. Il ne se rappelle rien. Sa langue est encore plus embarrassée que dans l'état normal et on distingue à peine quelques paroles.

B... n'a jamais pu apprendre à lire ni à compter; il est très difficile de fixer son attention et il parait avoir fort peu de mémoire; il reconnait pourtant assez bien les personnes. De temps en temps il présente des périodes d'excitation et de violence dans lesquelles il frappe et mord; ces manifestations s'atténuent depuis qu'il prend du bromure de potassium, sous l'influence duquel les accès ont aussi un peu diminué de fréquence.

L'histoire de ce malade ne présente guère de traits saillants en dehors du bâillement ; mais j'ai cru que ce phénomène, en apparence fort, banal, méritait quelque attention. C'est qu'en effet, on a assez rarement l'occasion d'étudier de près le bâillement spontané; et d'ailleurs, qu'il soit spontané ou provoqué, on s'est peu préoccupé de considérer avec soin son mécanisme. Chez B..., les bâillements ne se produisent pas nécessairement à propos des accès d'épilepsie; on a vu en effet, à propos de l'accès que nous avons décrit de visu, que ce symptôme n'existait ni avant, ni après le paroxysme. Il n'en est pas toujours ainsi.

Mais, en tout cas, les bâillements se produisent dans l'intervalle des accès presque à toute heure du jour, et surtout lorsqu'on le fait rester immobile ; ils se répètent très fréquemment, puisque j'ai pu en enregistrer plus de vingt en une demi-heure; souvent ils se produisent par séries continues. Cette exploration, que j'ai faite à plusieurs reprises en me servant du pneumographe de Marey, m'a fourni quelques tracés qui ne m'ont pas paru dépourvus d'intérêt. On y voit, par exemple, qu'en général le bâillement est précédé d'un abaissement des courbes respiratoires; la respiration devient d'abord superficielle et le bâillement constitue une sorte d'inspiration supplémentaire. On sait d'ailleurs que le bâillement se produit en général sous l'influence de la fatigue, de l'ennui, d'un trouble digestif produisant, grâce à la dilatation de l'estomac un osbtacle à l'inspiration, c'est à dire dans toutes les conditions où la respiration devient superficielles ou ralentie. J'ai relevé déjà que l'accès d'épilepsie est quelques fois précédé d'un abaissement considérable des courbes respiratoires; il n'y a donc pas lieu de s'étonner que l'on observe quelques fois le bâillement comme précurseur de l'attaque d'épilepsie.

Le bâillement est généralement suivi d'une expiration prolongée ou d'une large et brusque expiration. Lorsque le bâillement se produit par séries, les bâillements successifs peuvent être séparés, soit par une expiration prolongée, soit par une large et brusque expiration. C'est surtout dans les séries que l'inspiration et l'expiration du bâillement présentent de saccades. Dans les bâillements isolés la dilatation et la rétraction du thorax sont figurés par des courbes régulières.

Je noterai en outre chez ce sujet des irrégularités du tracé respiratoire dont les courbes représentent bien les mouvements choréiformes que l'on remarque à l'inspection extérieure.

charles fere

même texte page 68-76