| 
                     Nous n'avons pas, comme les anciens auteurs,
                     la prétention en abordant ce chapitre,
                     d'ériger le bâillement en symptome
                     de premier ordre. Il nous parait cependant que
                     l'on a trop négligé, son
                     étude de nos jours. Elle peut, dans
                     certains cas, fournir des renseignements
                     précieux pour le diagnostic, et permet en
                     quelques circonstances même
                     d'établir un pronostic
                     assuré.Nous passerons rapidement en revue les
                     différentes maladies où ce signe
                     se rencontre le plus fréquemment, et nous
                     nous permettrons d'insister quelque peu sur
                     certains points intéressant où des
                     observations récentes ont jeté un
                     jour nouveau.Avec les épidémies - Si
                     nous encroyons Rothmund, le bâillement est
                     fréquent dans certaines
                     épidémies et son apparition est un
                     mauvais pronostic: «Referunt historiae
                     oscitationem aliquando morborum epidemicoruin
                     pestisque lethale signum et praesagium extitisse
                     (Wolflus, Lectio memorab) quod aliquando Romae
                     oscitantes subito extincti fuerint. Sic etiam
                     Sprengel de oscitatione ut signo instantis
                     mortis in peste, dysenteriis malignis et febris
                     flava testatur» . Ces cas de mort subite,
                     semblent devoir être rapportés
                     à la syncope, qu'annoncent
                     avons-nous-dit, les bâillements. Avec la neurasthénie - Les
                     neurasthéniques, parmi les malaises
                     qu'ils éprouvent, sont souvent pris de
                     bâillements qu'André
                     (Congrès médical, 1900) rattache
                     à des troubles d'ordre psychique et
                     stomacaux. «Les neurasthéniques
                     éprouvent fréquemment une
                     dyspnée singulière, d'origine
                     complexe, mais en grande partie d'ordre
                     psychique s'accompagnat d'une véritable
                     angoisse, et indépendante de toute
                     lésion cardio-pulmonaire. Le malade fait
                     volontairement des inspirations profondes,
                     répétées,
                     entrecoupées quelquefois de
                     bâillements et provoquant à la fois
                     un état de fatigue douloureuse des
                     muscles thoraciques. » Avec la paralysie générale
                     - Les paralytiques généraux
                     bâillent, et Patrick s'appuie sur certains
                     bâillements pour différencier la
                     paralysie générale de la syphilis
                     cérébrale : «Le
                     bâillement, sans les signes de paralysie
                     bulbaire est, comme le ptyalisme, en faveur de
                     la paralysie générale» Avec l'apoplexie,
                     l'hémiplégie - Si nous avons
                     réuni dans un même paragraphe les
                     bâillements de l'apoplexie et ceux de
                     l'hémiplégie, c'est que cette
                     dernière affection succède
                     fréquemment à la première.
                     Il n'est pas rare de constater que des individus
                     tombés dans le coma sont pris de
                     bâiillements violents, et c'est à
                     ce propos que Charcot écrit: «Bien
                     que les bâillements reproduisent au milieu
                     des symptômes comateux un
                     phénomène qui, volontiers,
                     précède et suit le sommeil
                     naturel, je les croirais, en pareil cas, si j'en
                     juge par mon expérience propre,
                     plutôt de mauvais augure». Nous
                     aurions pu rassembler ici de très
                     nombreuses observations
                     d'hémiplégiques ; il est facile de
                     s'assurer que presque tous bâillent
                     fréquemment, qu'ils soient oui ou non
                     auparavant tombés dans le coma. Ce
                     phénomène du bâillement doit
                     être rapproché chez ces malades,
                     des accès de rire et de pleurer
                     spasmodiques qui succèdent le plus
                     ordinairement à des conversations
                     insignifiantes et se transforment l'un en
                     l'autre ou cessent aussi brusquement qu'ils sont
                     arrivés. Mais il est une remarque, qui a
                     frappé quelques observateurs et qu'a
                     faite dernièrement encore M le Prof.
                     Vergely sur un de ses malades; dans certains cas
                     où la paralysie des membres est
                     complète, où les sujets sont
                     absolument incapables de soulever volontairement
                     le bras, il n'est pas rare de voir le moignon de
                     l'épaule sélever brusquement en
                     même temps que se produit le
                     bâillement. Avec le morphinisme - «Le retour
                     fréquent des bâillements, pendant
                     les périodes d'amorphinisme, pourrait
                     contribuer à révéler
                     l'existence de la pratique
                     régulière des injections de
                     morphine chez un sujet qui, ainsi que cela
                     arrive plus souvent qu'on ne le pense, voudrait
                     tromper le médecin en la tenant
                     cachée » (Charcot). Avec l'invasion des pyrexies - Le
                     bâillement est fréquent au
                     début de la pneumonie (Dechambre,
                     Féré, Monneret), de la
                     pleurésie (Monneret), des fièvres
                     éruptives, accompagné de
                     larmoiement et de pandiculations (Oribase,
                     Gorter, Double). On ne peut guère
                     conclure de la présence ou de l'absence
                     de ce signe que la maladie sera longue ou
                     brève, grave ou légère. Le
                     bâillement n'exclut pas ou
                     n'entraîne pas la malignité de
                     l'affection, comme l'ont voulu certains auteurs;
                     c'est un symptôme variable qui
                     mérite l'attention, mais auquel on ne
                     petit donner de signification précise,
                     s'appliquant à tous les cas. Aussi
                     Rothmund a-t-il dit avec raison, traitant des
                     rapports du bâillement avec les maladies:
                     «Morhosam oscitationem observamus, vel
                     pathognomicum cujusdam morbi signum, vel
                     ordinarium ejus cornitem, vel frequetem saltem
                     cum quibusdam affectionnibus
                     conjunctam» Avec les troubles digestifs - On sait
                     qu'il existe une relation intime entre la
                     production des bâillements et les troubles
                     de l'estomac. Les rapports immédiats de
                     cet organe avec le diaphragme en donnent
                     l'explication. Ce qui est remarquable, c'est que
                     deux états absolument opposés de
                     l'estomac arrivent au même but, nous
                     voulons parler de sa vacuitê ou de sa
                     réplétion. Dans le premier cas, le
                     bâillement arrive par l'action d'un
                     réflexe profond; dans le second, par
                     action mécanique de l'estomac
                     gênant la respiration (diner copieux,
                     dilatation stomacale). Le réflexe est
                     produit soit par une sensation
                     particulière, celle de la faim, soit sous
                     l'influence de douleurs, de cardialgies
                     (Dechambre), d'embarras gastriques (Gorter,
                     Double), etc. Tous les traités de
                     pathologie stomacale citent le bâillement
                     comme symptôme concomitant des troubles
                     digestifs; quelques-uns en parlent comme signe
                     annonçant la fin d'une crise. Nous avons
                     nous-même observé une malade
                     atteinte de gastralgie, avec sensation de
                     pesanteur à l'épigastre, et chez
                     laquelle la cessation de l'état
                     douloureux était annoncée par une
                     suite de bâillements profonds. Avec la syncope - Nous ne nous
                     étendrons pas longuement sur les rapports
                     du bâillement avec la syncope. Ce
                     symptôme se manifeste
                     généralement avant la perte de
                     connaissance, ainsi qu'en témoignent
                     Double, Monneret, Dechambre, et le plus
                     ordinairement quand la syncope doit être
                     mortelle. Avec les traumatismes - Nous avons
                     placé immédiatement après
                     ceux de la syncope, les bâillements des
                     traumatismes, car leur mécanisme de
                     production est le même. C'est surtout dans
                     les grands traumatismes, et
                     particulièrement dans ceux qui affectent
                     la tête, dans les larges blessures avec
                     choc nerveux, qu'on voit apparaitre les
                     bâillements; ils précèdent
                     alors la syncope et la mort. Avec les hémorragies -
                     Après une perte de sang abondante, les
                     sujets, très affaiblis, sont
                     généralement pris de
                     bâillements profonds et violents
                     (Rothmund, Monneret, Dechambre,
                     Féré). Ces bâillements
                     cessent quand le sang est
                     régénéré. Avec la chlorose, l'anémie -
                     La diminution des globules du sang, de
                     même que sa quantité moindre,
                     détermine les bâillements; aussi
                     les observe-t-on dans la chlorose,
                     l'anémie dont ils sont un des signes
                     (Monneret, Dechambre). Avec les vers intestinaux - Rothmund
                     cite un cas de bâillements dus à
                     cette cause: «Oscitabat puer, qui moriturus
                     videbatur, quum vermis sex pollices longus per
                     aesophagem et fauces reperet». Nous avons
                     observé nous-même une petite fille
                     de dix ans prise subitement de crampes
                     d'estomac, diarrhée, vomissements, et
                     qui. dans un effort, rendit par la bouche un
                     ascaride lombricoïde de 15
                     centimètres, de long. L'administration
                     ultérieure de santonine et calomel fut
                     sans effet. Elle bâillait, 40 à 50
                     fois par jour. Avec l'asphyxie - Le bâillement
                     peut être un symptôrne d'asphyxie
                     commençante; Double, Adelon. Monneret,
                     Dechambre, Féré ont signalé
                     comme tel. Par asphyxie, il ne faut pas
                     seulement entendre l'asphyxie voisine de la
                     mort, mais aussi le premier degré de
                     l'intoxication, l'introduction d'air
                     vicié dans le poumon C'est ainsi que l'on
                     bâille pendant un séjour
                     prolongé dans un endroit où
                     l'oxygène est raréfié,
                     où il y a accumulation d'acide
                     carbonique: salles de théatres, etc; dans
                     une pièce chauffée où se
                     produisent des émanations d'oxyde de
                     carbone; dans les intoxications lentes par les
                     gaz délétères. C'est
                     à la raréfaction de
                     l'oxygène, plus encore qu'à
                     l'accumulation de gaz carbonique, comme il a
                     été démontré, que
                     sont dus les bâillements constatés
                     par tous les physiologistes sur les animaux
                     placés sous la cloche d'une machine
                     pneumatique. On voit ceux-ci s'agiter
                     violemment, faire de longues inspirations pour
                     faire pénétrer dans le poumon un
                     air qui semble le fuir, et effectuer de profonds
                     bâillements. Haller a constaté le
                     bâillement chez les animaux extraits de
                     l'utérus par l'opération
                     césarienne: «Oscitare caesrea
                     sectione incisi catuli videntur, quando primum
                     aerem vitalem gestiunt haurire ipesque nuper
                     exclusus faetus». Il donne comme cause de
                     ce phénomène un début
                     d'asphyxie. Mais si le bâillement est un
                     signe d'asphyxie commençante, il est
                     aussi avec l'éternuement, un
                     symptôme de la cessation de cette
                     même asphyxie: il n'est pas rare de voir
                     des individus en état de mort apparente
                     manifester leur retour à la vie, par un
                     long et convulsif bâillement ou un
                     éternuement strident. Ces
                     phénomènes spasmodiques
                     deviennent, ainsi le point de départ du
                     jeu des muscles respirateurs. |