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modifié le
le 27 juillet 2001
Revue de gérontologie juin 1959
Lexique
Baillement et vigilance
Dr J Barbizet
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Yawning: an evolutionary perspective
Le bâillement, du réflexe à la pathologie
 

Chat-logomini

-Barbizet J Yawning J Neurol Neurosurg Psychiat 1958; 21; 203-209
-Barbizet J Le bâillement Le Concours Médical 1958; 80; 5; 537-548
-Barbizet J Bâillement et vigilance Revue de gérontologie juin 1959
-Bromage PR Yawning BMJ 31/01/1959 p304
 Vidéo d'un bâillement typique, référence
 
Introduction
Ce sont les modifications de la conscience qui tiennent, à juste titre, la première place dans l'étude du sommeil. Les manifestations motrices retiennent moins l'attention, encore que l'hypotonie dont le degré semble correspondre à la profondeur du sommeil soit bien connue, encore que les myoclonies de l'endormissement et du réveil aient donné lieu à des observations abondantes. Par contre, il apparaît que le bâillement qui devrait s'inscrire de droit dans l'étude du sommeil qu'il précède et qu'il suit est presque constamment négligé. Souvent premier signe d'une baisse de la vigilance, le bâillement n'est cependant pas indigne d'intérêt. Il se place, en effet, aux confins des activités réflexes automatiques, par son expression motrice paroxystique et involontaire, et des activités d'expression s'intégrant aux côtés du langage dans une série de mimiques qui, pour être involontaires, n'en ont pas moins une signification dont le sens : ennui, suspension de l'intérêt, voire agressivité, n'échappe à personne.
 
Cette activité pourtant banale, voire un peu incongrue, a été négligée par les physiologistes et les psychologues. Par contre, nombreux sont les médecins qui, depuis l'antiquité se sont penchés sur ce symptôme et ont tâché d'en déceler la valeur diagnostique et pronostique. Sa signification a également retenu leur attention, mais c'était pour reprendre tout au long des siècles et avec un minimum de variations la théorie cathartique énoncée par Hippocrate qui peut se résumer par la formule : « le bâillement chasse le mauvais air du poumon ». Ce n'est qu'au XX° siècle que vont apparaître des théories moins fantaisistes qui peuvent être classées en deux groupes selon que le bâillement est considéré comme une réaction contre le sommeil, ou comme une perturbation primitive des centres respiratoires. Nous verrons comment les données neuro-physiologiques modernes nous permettent de l'intégrer parmi les mécanismes régulateurs de la vigilance.
 
Description des temps du bâillement
Le bâillement est un mouvement respiratoire involontaire et paroxystique. Il s'agit d'une activité motrice complexe se déroulant dans un ordre donné, toujours le même, et dans lequel on peut distinguer trois phases : la première est active, inspiratoire; la seconde correspond à l'acmé du bâillement; la troisième est passive, expiratoire. Leur durée respective est de 1,5 à 4" ; 1 à 2" ; 1,5 à 4", un bâillement durant en moyenne de 4 à 7". L'analyse des mouvements d'un sujet qui bâille peut se faire par l'inspection clinique, par l'examen laryngoscopique et par l'étude des radiographies en série prises touïes les 1/2 secondes, telles que nous l'avons réalisée à l'hôpital St Antoine, avec le Docteur J. Chalut.
 
Lors de la première phase, on constate l'ouverture progressive de la bouche, la dilatation du carrefour pharyngo-laryngé, la dilatation du thorax et l'abaissement du diaphragme. L'ouverture de la bouche se fait lentement; elle n'est qu'à moitié ouverte lorsque le temps pharyngo-laryngé est déjà à son acmé. L'abaissement de l'axe aérien du cou est évident par la simple inspection qui montre l'abaissement du cartilage thyroïde. Les radiographies l'objectivent mieux encore, montrant que le corps de l'os hyoïde situé au repos en regard de C2 ou C3 descend jusqu'au niveau de C6 OU C7. Cet abaissement de l'os hyoïde explique l'attitude de la langue qui est attirée en arrière et en bas, la pointe s'éloignant beaucoup des arcades dentaires qu'elle touche normalement. La dilatation de la glotte et l'abduction des cordes vocales peuvent être constatées lors d'un examen laryngoscopique suffisamment patient pour saisir un bâillement spontané. Les radiographies en série nous ont montré qu'il existait une dilatation énorme et insoupçonnée du pharynx qui triple ou quadruple de volume. Le pharynx, le larynx, la trachée et aussi les bronches souches apparaissent sur les clichés dilatés à l'extrême. L'élargissement de la cage thoracique dans tous ses axes et l'abaissement du diaphragme ne diffèrent en rien de ce qu'on observe lors d'une inspiration profonde volontaire.
 
L'importance et les caractères de la dilatation pharyngolaryngée nous paraissent devoir être soulignés. Alors que l'ouverture de la bouche et l'inspiration profonde se produisent dans bien des circonstances en dehors du bâillement, l'énorme dilatation pharyngée avec abaissement de l'os hyoïde et de la langue ne s'observe que dans le bâillement. Il est à noter que le bruit inspiratoire du bâillement se produit dans le palais et l'isthme du gosier. Il ne s'agit pas d'un bruit glottique, la glotte étant dilatée au maximum à cette phase.
 
La deuxième phase du bâillement correspond à l'acmé des mouvements d'ouverture de la bouche (c'est alors que les sujets peuvent se luxer la machoire), de la dilatation pharyngée et thoracique. C'est alors qu'apparaissent le plus nettement les modifications faciales qui ont débuté à la fin de la première phase. La contraction des dilatateurs des lèvres exagère l'ouverture de la bouche. Les constricteurs des paupières entraînent une occlusion partielle ou totale des yeux. Les narines sont dilatées. La peau de la base du nez se fronce. Parfois, le front se plisse et les sourcils s'élèvent. A cette phase on peut aussi constater un certain degré de contraction tonique des muscles extenseurs du cou et du tronc. Elle peut s'étendre aussi aux membres, les bras se portant en élévation et en abduction, les membres inférieurs en hyperextension. Cet étirement qui est loin d'être constant a pour résultat d'augmenter la capacité thoracique, ce qu'il est aisé de vérifier en s'étirant après avoir bloqué son thorax en inspiration maximale. Des phénomènes sécrétoires peuvent aussi survenir alors : lacrymation, et plus rarement salivation.
 
La troisième phase est passive, brusquement l'inspiration cède, l'expiration est assez lente, bruyante, accompagnée d'un son vocal en « aahn » d'origine laryngée. Le pharynx reprend son volume normal, la bouche se ferme, le faciès retrouve son aspect habituel.
 
Cet ensemble de mouvements complexes et synergiques peut résumer tout le bâillement. Mais celui-ci peut s'accompagner d'autres mouvements qui l'accusent ou le minimisent. C'est ainsi que l'on peut exagérer un bâillement et en quelque sorte le souligner en s'étirant, en modulant le son expiratoire ou en exécutant des mouvements rythmiques de latéralité avec la mandibule. A l'inverse, on peut tenter de masquer le bâillement dans certaines circonstances où il est socialement réprouvé. Le sujet porte la main à son visage, masquant de sa paume l'ouverture de la bouche. Il peut aussi réprimer le bâillement, c'est-à dire en arrêter dans une certaine mesure l'expression motrice en immobilisant son faciès, en s'opposant à l'ouverture de la bouche et en contrôlant son mouvement expiratoire. Mais malgré sa bonne volonté, le bâilleur est trahi par la mimique et le bâillement « étouffé » n'échappe pas à l'observateur attentif. On peut remarquer que dans ce cas le bâillement peut être réduit à sa composante pharyngée, soulignant encore l'importance de ce temps dans le complexe moteur du bâillement.
 
Un certain nombre d'explorations physiologiques ont pu être faites au cours du bâillement. Elles apportent une maigre récolte de faits : accélération minime du rythme cardiaque à la phase inspiratoire, baisse nette de l'indice oscillométrique capillaire au niveau des doigts, phénomène banal puisqu'on l'observe également lors de l'inspiration profonde (P. Heusner). L'E.E.G. pratiqué au cours du bâillement est ininterprétable du fait des mécanogrammes et des myogrammes.
Au point de vue évolutif, il est remarquable qu'un bâillement est rarement isolé. Le plus souvent ils surviennent par courts accès de deux ou trois, d'intensité inégale et souvent croissante, séparés, chacun, par quelques respirations normales. Parfois les bâillements vont se répéter, à intervalles irréguliers, pendant plusieurs minutes.
 
Bâillement et étirement
Il s'agit de deux activités très souvent mais non toujours associées, l'étirement se greffant à la deuxième phase du bâillement. Chez le nourrisson et chez l'animal, ces deux actions s'observent fréquemment ensemble. Chez l'homme, l'étirement accompagne plus volontiers les bâillements du réveil que ceux de l'endormissement, et l'association de ces deux activités est loin d'être constante, et le bâillement - même en dehors des cas où les circonstances sociales ne permettent pas de le souligner par un étirement - est le plus souvent isolé. De même, l'étirement qui se produit après une longue pause dans la même attitude ne s'accompagne pas forcément de bâillement. Ces faits permettent de ne pas accorder tout à fait la même valeur physiologique à ces deux actes, notamment, on le verra plus loin, en ce qui concerne leur valeur fonctionnelle.
 
Les causes déclenchantes du bâillement. Elles sont nombreuses, on peut les classer sous trois chefs.
Causes physiologiques
a) La somnolence. Elle occupe la première place. Les hommes, les animaux bâillent à l'approche du sommeil. Il en est de même pour la période du réveil qui est marquée chez certains individus par des bâillements et des étirements répétés.
b) L'ennui est une cause fréquente. Il peut naître de circonstances diverses. Une conversation fastidieuse, une conférence monotone, une lecture peu captivante font bâiller.L'ennui est intimement lié au désintérêt dont le rôle est primordial dans la genèse du bâillement. Nous y reviendrons plus loin.
c) Le fait de voir bâiller, Un bon bâilleur en fait bâiller sept, dit le dicton populaire. La contagion du bâillement est facile à vérifier en bâillant dans un groupe averti ou non de votre intention.
d) Le fait de bâiller. Il est possible de parvenir à se faire bâiller. Pour cela, quatre à cinq inspirations profondes, la bouche grande ouverte, imitant le bâillement spontané suffisent souvent. Une fois le bâillement spontané survenu, il sera rarement unique, et dans le quart d'heure suivant de nouveaux bâillements isolés ou en accès vont se reproduire.
e) La faim et, au contraire, la plénitude survenant après un repas copieux, sont couramment tenues pour responsables de bâillements isolés dans le premier cas, associés à une somnolence dans le deuxième. Chez certains sujets pléthoriques ces bâillements post-prandiaux peuvent constituer une gêne suffisante pour les pousser à consulter.
f) Le bâillement enfin survient avec une particulière fréquence dans certains états : la fatigue physique, la grossesse.
 
Causes pathologiques.
L'atteinte du tronc cérébral s'accompagne fréquemment de bâillements, qu,'il s'agisse d'une lésion à l'intérieur du tronc cérébral (hémorragie, ramollissement, turneur), et à ce propos rappelons que la somnolence est un signe d'atteinte pédonculaire (J. Lhermitte), ou d'un retentissement sur l'axe nerveux d'une tumeur de la fasse postérieure.
Delmas-Marsalet insiste sur le rôle des tumeurs frontales dans le déclenchement du bâillement. Nous ne pensons pas que cette localisation soit spécifique car nous avons vu très fréquemment des bâillements survenir au cours de lésions hémisphériques quel que soit leur siège. Et nous nous demandons si ces lésions expansives n'agissent pas indirectement sur le tronc cérébral soit par un phénomène d'oedème ou même d'engagement temporal. A ce titre donc le bâillement, dans tous ces cas, a la valeur d'un signe d'atteinte bulbaire. Il est de mauvais pronostic.
 
Au cours de processus encéphalitiques diffus, le bâillement n'est pas rare. Des crises fréquentes ont été observées au cours des encéphalopathies éthyliques; de la paralysie générale (Vergely).
 
Le bâillement est une des nombreuses séquelles respiratoires observées au cours de l'encéphalite léthargique à côté des soupirs et des hoquets spasmodiques. Sicard et Paraf, Turner et Critchley ont ainsi rapporté des observations de bâillement et de béement (Gaping) spasmodiques. Rapprochons-en les bâillements des choréiques.
 
Le bâillement peut s'observer aussi dans certaines variétés d'épilepsie. Pour Wilson, il constituerait une aura des crises viscérales.
Penfield et Jasper rapportent deux observations de bâillement, élément d'une crise diencéphalique autonome. Particulièrement instructive est leur observation d'une femme de 29 ans ayant un astrocytome occupant le lobe terriporal gauche et la partie inférieure du corps strié jusqu'à la paroi du Ill' ventricule, dont les crises débutaient brusquement par une douleur occipitale s'accompagnant de bâillements et de hoquet; en même temps s'engourdissaient le bras gauche et la partie inférieure de la bouche. La crise se terminait par un besoin d'uriner.
 
Le bâillement a été décrit avec abondance dans les manifestations de l'hystérie (Charcot, Déjerine, Trautmann).
Salmon attire l'attention sur la possibilité de crises de bâillements dans la myasthénie et cite à l'appui d'un cas personnel un cas d'Albertoni.
 
Le bâillement est encore observé au cours des anémies, des hémorragies, et les réanimateurs connaissent bien ce symptome qui leur fait rechercher une reprise d'une hémorragie.
 
Le bâillement est également noté fréquemment au cours des affections digestives sans que les auteurs aient beaucoup cherché à en préciser le mécanisme.
Le baillement induit expérimentalement. Deux procédés permettent de provoquer expérimentalement le bâillement.
1) L'administration d'hypnotiques.
La morphine, les barbituriques favorisent, en effet, l'apparition des bâillements. L'action de ces drogues sur les centres de la vigilance est d'un intérêt certain sur lequel nous reviendrons.
2) Les stimulations cérébrales.
 
Nous ne connaissons pas d'étude de stimulation intracérébrale concernant directement le bâillement. Par contre, des bâillements ont pu être observés et notés dans certains protocoles. C'est ainsi que W.R. Hess (1938), stimulant la substance intralaminaire du thalamus et le subthalamus postérieur a pu provoquer chez le chat le sommeil précédé de bâillements.
 
Les expériences de Passouant, Passouant-Fontaine et Cadilhac (1956) sur la stimulation du rhinencéphale et en particulier de la corne d'Ammon mentionnent aussi le bâillement. La crise induite se fait en trois temps : pendant la stimulation : réaction de fuite; pendant la post-discharge, état de malaise avec diminution de la vigilance. A la troisième phase : l'animal se lève, se lèche, ronronne. Ce comportement de bien-être se prolonge pendant plusieurs minutes, et parfois il se couche, s'étire, bâille et s'endort. Le sommeil peut se produire trois à cinq minutes après la fin de la post-discharge. L'enregistrement de l'hippocampe montre qu'il est précédé de pointes brèves et survoltées.
 
Il est bien évident que, dans ce cas, le bâillement n'est qu'une manifestation tardive et indirecte de la stimulation. Néanmoins, il faut retenir qu'il s'intègre dans un comportement de bien-être et d'endormissement qui s'oppose à la réaction de fuite contemporaine de la stimulation. Le fait que le bâillement puisse s'observer lors des stimulations portant sur le rhinencéphale ou l'hypothalamus, formation en rapport étroit avec le système réticulé ascendant dont on connaît le rôle dans le mécanisme de la vigilance, est à souligner.
 
Bâillements et étirements conjugués.
Chez les sujets normaux, le bâillement et l'étirement sont souvent indépendants l'un de l'autre. Mais, dans certaines conditions pathologiques, ils peuvent être conjugués de façon indissoluble. Dumpert (1921) et Lewi (1921) signalent l'observation clinique d'hémiplégiques chez lesquels le bâillement était produit par l'étirement du bras paralysé. Heusner (1946) signale, à l'inverse, un étirement spontané du bras paralysé provoqué par un bâillement.
Nous avons eu l'occasion d'observer chez un malade atteint de paraplégie spasmodique des crises de contracture douloureuse du membre inférieur paralysé provoquées par des bâillements.
 
D'interprétation encore plus délicate est l'observation de D. Furtado, d'un sujet atteint d'une poliomyélite bulbospinale chez lequel l'élévation de l'un ou l'autre bras provoquait des bâillements suivis immédiatement d'une irrésistible envie de dormir. Ces deux dernières observations apportent la preuve que des stimulations d'origine spinale peuvent retentir sur les formations du tronc cérébral responsables du bâillement.
 
Physiologie du bâillement.
Si les aspects cliniques et les causes déclenchantes du bâillement sont bien connus, son mécanisme physiologique est mal élucidé ainsi que sa signification. Nous ne reviendrons pas ici sur les théories classiques dont nous avons plus haut esquissé les tendances, renvoyant ceux que cela intéresse aux articles que nous avons déjà consacrés à ce sujet. Ces théories, dont certaines sont fort ingénieuses, font cependant appel à des précisions physiologiques qui n'ont pas été vérifiées, elles laissent complètement dans l'ombre certains aspects du réflexe psychomoteur qu'est le bâillement, et enfin, élaborées, pour les plus récentes, aux environs de 1920, elles ne peuvent faire état des acquisitions capitales sur la pathologie du sommeil dues aux expérimentations neuro-physiologiques contemporaines. Peut-on aujourd'hui tenter une synthèse et, à la lueur des connaissances psycho-physiologiques actuelles, préciser les divers aspects du mécanisme du bâillement, en soulignant bien entendu les lacunes que devront suggérer des expérimentations ultérieures ?
 
Essai sur le mécanisme du baillement.
1°) Le bâillement est un acte respiratoire complexe, involontaire et paroxystique. Sous l'effet d'un certain nombre de facteurs, se déroule, toujours dans le même ordre, une activité motrice brève (4 à 7 secondes), mettant en jeu un grand nombre de muscles thoraco-cervico-faciaux. Ceci évoque une activité critique se propageant de proche en proche dans un circuit neuronal donné. Connaissant les muscles qui participent au bâillement, il est possible de préciser que les noyaux moteurs intéressés siègent dans le bulbe et la moelle cervicale. On peut donc penser que la crise motrice que représente le bâillement, est liée à une décharge paroxystique intéressant un certain nombre de noyaux moteurs situés dans le bulbe et la moelle cervicale haute, l'extension de cette décharge aux noyaux des muscles du tronc et des membres entraînant l'étirement. Il est difficile de préciser davantage notamment s'il existe une hiérarchie dans cette structure neuronale qui permettrait de parler de « centre du bâillement ». Par contre, il y a tout lieu de supposer que cette structure contracte des rapports étroits avec le système réticulé ascendant et avec le cortex cérébral.
 
a) Le système réticulé ascendant est une structure neuronale étagée dans le tronc cérébral et l'hypothalamus. L'électrophysiologie a permis de montrer qu'elle règle le degré de la vigilance (découverte que l'on doit entre autres à Magoun, Moruzzi, Jasper). L'état d'alerte s'affaisse dans le sommeil et les états pathologiques apparentés : somnolence, torpeur ne disparaissant complètement que dans le coma profond. Il s'exalte au contraire à des degrés variables suivant l'intensité des stimulations et sans doute l'étendue des mécanismes nerveux mis en action. Il n'est pas nécessaire de souligner les liens entre le bâillement et le sommeil, et nous verrons le rôle important que l'on peut attribuer à ce système régulateur de la vigilance dans la genèse du bâillement.
b) La participation du cortex cérébral paraît incontestable lorsque le bâillement est le résultat d'activités psychiques aussi complexes que l'imitation ou Vennui. Il n'est pas sans intérêt à ce propos de rappeler les travaux de French et coll. (1955) qui ont prouvé que les afférences parties du cortex retentissaient sur le système réticulé ascendant.
 
2°) Si l'on s'en tient à cette hypothèse qu'il conviendrait de vérifier notamment par l'en reg ist rement de l'activité neuronale des noyaux moteurs mis en jeu clans le bâillement par des électrodes intra-bulbaires (VE.E.G. simple ne pouvant donner aucun renseignement), il faut répondre à la question suivante : Quels sont les facteurs responsables de cette décharge paroxystique dans cette structure motrice bulbo-médullaire ?
Les facteurs invoqués sont nombreux, et il convient de les classer en deux chapitres :
1) Les facteurs circulatoires et humoraux.
ils doivent être discutés en premier car ce sont eux qui ont été le plus souvent avancés, cependant sans données expérimentales précises. On a invoqué le rôle possible d'une anoxie bulbaire ou de modifications passagères du rapport CO2/02. On manque de données précises sur ce point, mais l'on sait que l'apnée volontaire prolongée, pas plus que la polypnée même profonde ne provoquent de bâillements. Cependant, il faut rappeler le rôle des respirations profondes et lentes avec une bouche grande ouverte qui, simulant le bâillement spontané, finissent par le déclencher.
Ce serait également par l'intermédiaire d'une anoxie que joueraient les troubles circulatoires. Leur rôle est très vraisemblable en pathologie, non seulement au cours des accidents vasculaires intéressant le tronc cérébral, mais au cours des perturbations circulatoires aiguës comme dans les tachycardies ou les bradychardies paroxystiques où des modifications du rythme respiratoire et des bâillements peuvent être occasionnellement observées. Cependant, dans des conditions physiologiques, ces variations sont en général contrôlées par le système régulateur formé par le nerf de Hering et le sinus carotidien qui s'oppose aux variations du débit circulatoire cérébral et en particulier du tronc cérébral. On peut penser que, dans certaines circonstances, chez les sujets âgés, artériosciéreux, cette régulation se fasse moins bien, et que des facteurs tels que l'émotion, la digestion, l'effort puissent entraîner des modifications de la circulation du tronc cérébral, et partant, des bâillements et de la somnolence.
 
Le rôle des modifications humorales est aussi avancé, le bâillement et la somnolence post-prandiale étant mis sur le compte d'une vague d'alcalose, d'une décharge de polypeptides ou de lipides. Des observations récentes faites avec des biomicroscopes à très fort grossissement, ont permis de montrer au niveau des vaisseaux conjonctivaux, chez des artérioscléreux soumis à des repas riches en graisses, de longs embols graisseux fragmentant la colonne sanguine et objectivant en dehors de tout rôle propre aux lipides, l'existence d'une anoxie circulatoire relative post-prandiale. Comme on le voit, bien des inconnues subsistent sur ce point, et pas plus que l'on n'a réussi à démontrer l'existence d'un facteur hypnotique d'origine endogène, on n'a pu faire la preuve d'une substance endogène provoquant le bâillement.
La pharmacodynamie nous fournit par contre des drogues qui facilitent l'apparition du bâillement et de la somnolence, telles que la morphine et les hypnotiques. On connaît par ailleurs l'action de ces substances sur le système réticulé ascendant qu'elles dépriment alors que des drogues telles que la caféine et les amphétamines ont un effet inverse. Ainsi, si le bâillement peut être induit pharmacodynamiquement, on n'a pas de preuve formelle sur le rôle des perturbations circulatoires ou humorales dans la genèse. On doit souligner que si de telles perturbations existaient cependant, ce qui demeure possible et qui doit fournir l'objet de recherches ultérieures, elles ne pourraient avoir qu'un rôle favorisant, leur durée excédant nettement celle du bâillement qui, par ailleurs peut, par exemple comme dans le post-prandium, apparaître ou non selon les conditions psychologiques où se trouve le sujet.
 
2°) Rôle des stimulations psycho-sensorielles.
Il y a lieu, à; ce sujet, de, distinguer le bâillement spontané du bâillement par imitation. Tous les deux étant influencés par le milieu extérieur, mais de façon différente. Nous insisterons peu sur le bâillement par imitation qui n'est qu'un exemple des multiples actes que l'on fait par contagion, assez souvent inconsciemment : répéter un air fredonné ou sifflé ; baisser ou hausser l'intensité de la voix en accord avec celle de l'interlocuteur ; sourire à un sourire ; répondre à une grimace par une grimace. De même, des actes expressifs comme le rire ou le pleurer, sont dans certaines circonstances contagieux. Il y a dans ces mécanismes associatifs encore bien des inconnues. Cependant, cette possibilité d'associer deux stimulations, deux comportements, deux idées, est à la base même de de nos mécanismes d'apprentissage, et le bâillement par imitation ne constitue qu'un cas particulier dans cet ensemble de gestes imitaiifs. En tout cas, qu'un. bâillement puisse être provoqué par la vue d'un bâillement chez autrui apporte la preuve, dans cette variété, de l'intervention du cortex, notamment occipital, dans le circuit neuronal de l'acte de bâiller.
Le bâillement spontané survient dans des circonstances bien particulières, lors de l'endormissement ou lors de l'ennui, c'est-à-dire, dans les deux cas, lors d'une baisse de la vigilance. On ne bâille pas et, si l'on somnolait, on se réveille quand survient brutalement un fait nouveau, stimulation physique ou choc affectif qui relance l'attention. A-t-on jamais vu quelqu'un bâiller au moment où il apprend le résultat d'un examen important ou à la nouvelle d'un accident grave survenu à un proche ? Le bâillement ne survient que dans des circonstances psychologiques d'indifférence, de désafférence avec l'entourage. Il apparaît comme manifestation accompagnant une baisse de la vigilance.
L'ensemble de ces constatations nous amène, connaissant le rôle du système réticulé ascendant dans le mécanisme de la vigilance, à formuler l'hypothèse suivante : le bâillement est une décharge dans une structure motrice bulbo-cérébrale, déclenchée par un état d'excitabilité particulière du système réticulé ascendant, correspondant à une baisse de la vigilance précédant l'état de sommeil. Cette hypothèse qui s'accorde avec les constatations neurophysiologiques et pharmacodynamiques explique que le bâillement puisse s'observer lors de l'endormissement comme lors du réveil.
 
Une dernière question reste en suspens : quelle est la signification du bâillement ?
Sur le plan physiologique, deux attitudes peuvent être soutenues entre lesquelles il est difficile de trancher, La première consiste à penser que le bâillement n'est qu'une manifestation physique de la baisse de la vigilance. Il exprime un état et non pas une réaction contre cet état. C'est ce que semble prouver le fait qu'un bâillement entraîne des bâillements et non pas un regain d'intérêt. Dans l'attitude inverse, le bâillement est considéré comme un mécanisme réactionnel relançant passagèrement la vigilance. Un rôle analogue peut être attribué à l'étirement dont l'action est sans doute plus efficace. Si le mécanisme exact de cet éveil demeure inconnu, il y a des chances que l'hyperventilation du bâillement d'une part, et les stimulations proprioceptives émanées des muscles intéressés d'autre part, entrent en jeu.
 
Sur le plan psychologique, le bâillement traduit un état de désintérêt. Cette conception psycho-physiologique appelle certains développements sur la phénoménologie et la valeur sociale du bâillement. Dans la mesure où, en effet, il reflète le désintérêt et l'ennui, le bâillement a une valeur mimique expressive. L'intérêt, et partant le désintérêt que nous avons pour l'environnement, dépendent certes des conditions immédiates de cet environnement. L'intérêt sera très diversement éveillé suivant que le sujet sera dans le calme, l'obscurité, le silence, ou qu'au contraire il subira des stimulations sensitives ou psychiques vivaces. Cependant, l'intérêt va dépendre aussi et pour une part non négligeable de la personnalité et des acquisitions antérieures. Un collectionneur portera un intérêt tout particulier à des spécimens qui lasseront vite le profane. Il en est clé même d'une conversation sur un sujet spécialisé peu connu, ou à propos d'un tiers que l'on ne connaît pas. L'intérêt est conditionné par notre formation familiale, scolaire, professionnelle, sociale, linguistique (le fait de ne pas comprendre une conversation étrangère amène à s'en désintéresser), affective, etc. L'on peut prévoir dans une certaine mesure ce qui plaira ou ennuiera tel sujet, ses goûts représentant précisément la gamme de ses intérêts. Ces liens intimes entre l'intérêt et la personnalité expliquent la valeur expressive du bâillement marquant le détachement et l'ennui. Le bâillement est à l'ennui ce que l'expression motrice du rire et du pleurer est à la joie et au chagrin. L'on peut du reste moduler la valeur expressive du bâillement. En le réprimant, ne traduit-on pas notre désir souvent à moitié conscient de cacher notre ennui ? En l'exagérant dans certaines circonstances, en le rendant particulièrement bruyant ou prolongé, ne lui confère-t-on pas également une valeur démonstrative et ne traduit-il pas sous cette forme non équivoque, notre refus, voire notre agressivité envers la situation qui a cessé de nous attirer ou envers un interlocuteur qui nous lasse ? Le fait qu'il soit séant de mettre la main devant la bouche quand on bâille, c'est-à-dire de dissimuler le bâillement, appris dès l'enfance et qui devient automatique au point de s'intégrer dans le complexe moteur du bâillement, apparaît ainsi comme une reconnciissance implicite de la signification sociale de cette mirrique exprimant l'ennui, le refus, et qu'il convient de masquer.
 
Résumé
Le bâillement est un mouvement respiratoire involontaire et paroxystique. A mi-chemin entre le réflexe automatique et le mouvement expressif, le bâillement se rattache aussi au sommeil qu'il précède et qu'il suit, ce qui explique ses liens avec le mécanisme régulateur de la vigilance.
 
Revue des causes déclenchantes physiologiques et pathologiques. Physiologie du bâillement. 1) Rappel des théories classiques. 2) Interprétation personnelle.
 
Le bâillement, acte respiratoire complexe et involontaire, serait lié à une décharge paroxystique dans une structure motrice bulbo-cervicale, apparaissant pour un état d'excitabilité donné du système régulateur de la vigilance (système réticulé ascendant) correspondant à une baisse de la vigilance précédant le sommeil.
 
Cet état particulier du système de vigilance serait sous la dépendance : 1) Des stimulations sensitives et psychiques que nous recevons de l'environnement. 2) il peut être aussi provoqué expérimentalement par des stimulations électriques portant sur l'hypoihalamus, et par des substances pharmacodynamiques (hypnotiques). 3) Le rôle des facteurs endogènes (humoraux, circulatoires, digestifs) souvent invoqué est discuté
 
Le rôle physiologique du bâillement est aussi sujet à discussion : simple manifestation motrice baisse de la vigilance, ou bien réaction provoquant par des mécanismes d'hyperventilation et des stimulations propriocepiives une relance passagère des mécanismes clé vigilance.
 
Sur le plan psychologique, le bâillement imitatif n'est qu'un cas particulier dans l'ensemble des gestes imitatifs. Le bâillement spontané, par contre, s'intègre parmi les mimiques expressives. En effet, nos goûts, c'est-à-dire nos sujets d'intérêt, et partant de désintérêt, sont intimement liés à nos accluisitions passées et font partie intégrante de notre personnalité. Le bâillement, qui marque notre désafférence, notre désintérêt à une situation donnée, aurait donc de ce fait la valeur d'un refus et même, dans certains cas, d'une agressivité inconsciente.