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Biographies de neurologues 

 

 Le bâillement vu par les peintres

 

 

 

 

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Cette sémiologie, en 2001, évoque des manifestations d'hypertension intracranienne, avec compression du tronc cérébral, source des bâillements, témoin d'une menace d'engagement.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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mise à jour du
28 octobre 2001
.Oto-neuro-ophtalmologie
1937, N°15, p183
cas cliniques
 Le signe du bâillement dans les lésions
du cerveau frontal
Paul Delmas Marsallet .

Chat-logomini

Le symptôme sur lequel nous attirons l'attention des neurologistes pourrait passer au premier abord pour une manifestation banale. L'observation de plusieurs malades atteints de grosses lésions du cerveau frontal nous permet de penser que cette banalité n'est pas réelle et que, bien au contraire, le bâillement, lorsqu'il se présente dans certaines conditions et avec certains caractères, peut devenir un signe important de lésion frontale. L'observation initiale qui imposa pour la première fois ce symptôme à notre esprit, mérite d'être détaillée, car elle est particulièrement démonstrative

Cas N°1: Mr R... âgé de 53 ans est pris brusquement dans la rue d'une céphalée atroce siégeant au niveau des deux régions frontales, bientôt suivie d'un état vertigineux qui l'oblige à s'arrêter et regagner son domicile avec l'aide d'un passant. Examiné quelques heures après cet incident le malade présente une obtusion intellectuelle nette : il répond avec lenteur aux questions qui lui sont posées ; ses réponses sont laconiques et paraissent traduire à la fois la lassitude, du désintérêt, voire même de l'ennnui. Au fur et à mesure qu'on l'interroge on est frappé de voir ce malade bâiller d'une manière continuelle en portant chaque fois sa main devant la bouche et en s'excusant en ces termes : «exusez-moi, docteur, mais c'est plus fort que moi». Le bâillement se produit avec une forte intensité, aussi bien lorsque le malade est immobile dans son lit que lorsque l'on converse avec lui, mais il est très net que l'effort de la conversation accentue considérablement la fréquence du phénomène. Le bâillement n'est suivi d'aucun accès de somnolence et ne précède aucune manifestation narcoleptique.

L'examen neurologique montre qu'il existe une légère parésie faciale droite apparaissant surtout à l'occasion de la mimique; les réflexes des membres droits sont un peu vifs ; le cutané abdominal est aboli à droite. le signe de Babinski est positif du côté droit. On note la présence de signes méningés très nets: signe de la nuque, signe de Kernig, raie méningiitique. En présence de ces symptômes on porte le diagnostic d'hémorragie méningée diffuse avec point de départ probable au niveau du cerveau gauche dans sa corticalité. La ponction lombaire permet de reirer tun liquide légèrement rosé et hypertendu, sans altération biologique particulière; cette ponction soulage le malade, dont l'état s'alliéliore pendant 24 heures environ, sauf en ce qui concerne les bâillements dont l'intensité s'accroit plutôt. Au bout de 24 heures la situation empire: le malade est désorienté, confus puis de plus en plus somnolent, les bâillements deviennent véritablement incoercibles. En présence de ces symptômes on pense à une reprise de l'hémorragie méningée quoique cependant les signes proprement méningés tels que le Kernig semblent moins nets qu'au premier examen. Une ponction lombaire faite au quatrième jour de la maladie montre un liquide moins rosé que la première fois et moins hypertendu. La parésie faciale droite est plus nette, l'hyperréflectivité droite plus intense, le Babinski se fait avec orteils en éventail.

En présence de ces symptômes nous pensons que le malade doit faire un hématome de la région frontale gauche dont le liquide céphalorachidien peu sanglant ne donne qu'une faible idée et que, de toute manière, la symptomatologie n'est pas explicable par une hémorragie méningée diffuse. A ce moment nous conseillons une intervention chirurgicale au niveau de la région frontale gauche, intervention à laquelle la famille ne peut se résoudre. Dans les 48 heures qui suivent l'état empire les bâillements, après avoir augmenté disparaissent pour faire place à un véritable état narcoleptique, puis à un coma profond. En présence du coma la famille du malade accepte l'intervention chirurgicale qui est pratiquée par le Dr Chavannaz. Le malade comateux est trépané, sans anesthésie, au niveau de la région frontale gauche. On tombe sur une dure-mère tendue dont la ponction donne issue à une liquide couleur jus de réglisse: on évacue ainsi 120 cc de liquide environ, en élargissant la brèche osseuse et la brèche dure-mérienne. La collection sanguine ainsi évacuée occupe la région préfrontale au niveau de la deuxième frontale horizontale comme centre. Aussitôt. que la collection est évacuée, le malade recommence à bâiller, sort du coma, puis du sommeil, et l'on doit le maintenir pour pratiquer la suture des plans cutanés. Ramené dans sont lit le malade est absolument conscient; il guérit complètement sans complication au bout de quinze jours. L'examen post-opératoire ne montre plus aucun symptôme; le bâillement a disparu.

Cette observation montre très nettement la précocité du symptôme bâillement qui a précédé de plusieurs jours les manifestations narcoleptiques et le coma, et les relations du symptôme avec la présence d'un hématome du lobe préfrontal gauche. Instruit par cette première observation nous avons pû retrouver ultérieurement des cas qui confirment l'importance de ce symptôme dans les lésions préfrontales, cas dont nous ne donnerons qu'un court résumé:

Cas N° 2: Mme C..., agée de 31 ans, éprouve depuis deux ans environ des céphalées frontales gauche, qui ont motivé une intervention sur le sinus frontal. Depuis quelques mois se manifeste un affaibissenient considérable de la vue : l'acuité, normale à droite est réduite à 1/200 à gauche ou l'on constate une névrite rétro-bulbaire tandis qu'à droite il existe une stase nette ; l'anosmie est complète; il n'y a aucun trouble moteur du côté de la face ou des membres. L'oeil gauche est un peu exorbité. La radiographie montre une image typique de méningiome du sillon olfactif gauche. Au point de vue mental la malade est ralentie; elle bâille sans arrêt au cours de l'interrogatoire et s'excuse de ce qu'elle considère comme une inconvenance vis-à-vis du médecin. Il n'y a pas de narcolepsie, mais une certaine propension anormale au sommeil dès que la malade est dans le silence. La malade est opérée par le Prof Portmann, qui trouve un énorme méningiome du sillon olfactif. Hyperthermie post-opératoire, décès. Pas de vérification nécropsique possible.

Cas N° 3: M. B ... agé de 27 ans, présente depuis un an environ de petits troubles psychiques, consistant en défaillance de mémoire et embarras passager de la parole. Le 28 octobre 1934 il éprouve pour la première fois de légers fourmillements de la main droite; il est un peu gêné pour écrire et traîne la jambe droite; pas de céphalée. Le 14 novembre apparaît pour la première fois une grosse céphalée qui persiste depuis. Le malade se rend à Bordeaux, le 29 novembre, où nous l'examinons. Il est assez fatigué par le voyage et se plaint de céphalée avec vomissements. L'examen montre les symptômes suivants: parésie faciale droite dans le rire, léger bredouillement de la parole, parésie discrète des membres droits avec exagération des réflexes de Babinski. Stase papillaire bilatérale plus marquée à gauche qu'à droite. Une ventriculographie montre une amputation de la corne frontale du lobe frontal gauche. Le malade présente des bâiIlements incoercibles qui apparaissent au repos mais surtout lorsque l'on cause avec lui et qu'on lui demande de raconter son histoire. Ce bâillement s'accompagne d'un véritable grognement qui soulève les rires de l'assistance; il se répète toutes les deux ou trois minutes environ. Il n'y a pas de narcolepsie. Le malade est préparé en vue d'une intervention, mais brusquement son état s'aggrave: il fait des crises jacksoniennes dans les membres droits, puis entre dans la coma et meurt, sans que le Dr Lafargue ait pu faire autre chose qu'une trépanation décompressive « in extremis ». L'examen minutieux des clichés radiographiques montre qu'il existe, en dehors de l'amputation de la corne frontale gauche, un épaississement de la petite aile du sphénoïde de ce côté: méningiome probable de la petite aile du sphénoïde.

Cas N° 4: Nl. D..., agé de 46 ans, commence à éprouver en juillet 1931 des céphalées frontales diffuses en même temps qu'une gène du membre inférieur gauche: il nous est adressé le 27 août 1934. L'examen clinique montre les symptômes suivants: parésie faciale gauche apparaissant dans la rire surtout; parésie légère des membres gauches avec exagération des réflexes, trépidations épileptoïdes, Babinski, déviation spontanée de la marche vers la gauche, stase pulpillaire bilatérale. Le psychique est nettement touché: le malade est lent, parait ne pas toujours comprendre les question qui lui sont posées et regarde son interlocuteur avec une expression d'égarement; il présente des périodes de dépression psychique intense entrecoupées d'épisodes de gaieté morbide du type «moria». Pas de somnolence. Au cours de l'examen et de l'effort nécessité par la conversation à suivre le malade bâille sans arrêt, justifiant l'épithète de «se décrocher la mâchoire!»; le bâillement est moins intense lorsque aucun effort intellectuel n'est effectué. La radiographie montre un aspect fortement cérébriforme de la région frontale droite ; les sutures sont distendues. La ponction lombaire décèle une dissociation albumino-cytologique; l'évacuation de LCR calme la céphalée, mais ne modifle pas les bâillements. Il s'agit probablement d'un gliome frontal droit.

Cas N° 5: Il s'agit d'une jeune femme, victime d'un accident d'automobile, qui a présenté trois jours après des symptômes de confusion mentale avec désorientation spatiale, parésie légère des membres à gauche, bâillements incoercibles. Liquide céphalo-rachidien normal. La malade a été trépanée, sur nos indications, par le D' Lasserre, qui a trouvé un hématome enkysté du lobe frontal droit dans sa partie préfrontale. Disparition des symptômes pendant quelques jours, puis reprise subite de phénomènes, méningés et mort.

Dans toutes les observations précédentes il s'agissait de tumeurs ou d'hématomes, dont, on peut supposer qu'ils exercent non seulement une action directe sur le lobe frontal, mais aussi une action indirecte sur d'autres régions du fait de l'hypertension intra-cranienne. Il nous a été donné d'observer parmi les malades des hôpitaux deux cas de ramollissement hémorragique étendu du lobe préfrontal qui présentaient également le signe du bâillement, en l'absence de toute hypertension intracranienne.

De tout ces faits nous paraît se dégager la notion de l'importance réelle du bâillement comme signe d'atteinte du lobe frontal dans sa partie préfrontale. Ce symptôme paraît posséder les caractères suivants: 1°) Il se manifeste surtout à l'occasion de l'effort intellectuel nécessité par l'interrogatoire du malade; il est moins intense lorsqu'un pareil effort n'est pas fait. 2°) Il est incoercible et surprend souvent les malades un peu éduqués, qui s'en excusent auprès du médecin. 3°) il peut précéder l'apparition des manifestations narcoleptiques, mais se montre indépendant de celles-ci dans beaucoup de cas, ce qui lui donne un caractère tout à fait particulier. 4°) Il existe aussi bien pour les lésions du cerveau droit que du cerveau gauche. 5°) Il ne parait pas lié à une action indirecte de l'hypertension sur les centres du sommeil puisqu'on peut le rencontrer dans des lésions cérébrales non hypertensives. 6°) Il paraît lié à un état de fatigabilité psychique spéciale déterminé par la présence d'une lésion préfronate importante.